Petite réflexion sur cette crise du COVID, vue d'un pays du Sud. (Subsaharien) La lecture des différents posts de cette discussion était particulièrement intéressante, et je ne peux m’empêcher de rajouter mon grain de sel, issu de mon vécu dans un contexte "légèrement" différent du contexte français.
Comme en France, nous avons été informés du développement de la maladie, et les premiers cas importés l'ont été relativement vite, importés par des membres d'ONG en provenance initialement de l’Italie (De mémoire), puis d'autres pays européens, et même de Chine. Avec zéro contrôle pratiqué à l'aéroport, zéro confinement/quarantaine des nouveaux arrivants, cela ne pouvait qu'arriver.
Par ailleurs, il semble presque certain (Même si non officiel) que d'autres cas aient été rapportés de l'étranger par des officiels/membres du gouvernement, qui ont voyagé peu avant que cette crise n'éclate de manière définitive. (Expliquant le grand nombre de personnalités politiques touchées par cette maladie.)
Peu après la mise en confinement Française, il a été décidé :
- La mise en place d'un couvre-feu entre 19h et 6h du matin, restreignant fortement les activités économiques (Avec 40°C en pleine journée, beaucoup de commerçants font la sieste vers 14/15h, mais restent ouverts jusque 22h), ainsi que religieuses/sociales.
- La fermeture des mosquées, ainsi que l'interdiction des prières collectives. (Or le fait religieux est très représenté ici => Sur un rayon de 50m autour de mon domicile, il y a 4 mosquées. Et l'immense majorité de la population masculine va prier, aux heures dévolues, chaque jour.)
- Fermeture des écoles, des bars, des restaurants "de standing". (Les petites gargotes informelles sont restées ouvertes)
- La fermeture des frontières, entrainant la limitation des importations de beaucoup de produits.
- La mise en confinement de la capitale, afin de protéger les provinces. => Impossible pour quiconque (Sauf autorisations difficiles / onéreuses à obtenir) d'entrer ou de sortir de la ville. Les propriétaires d'exploitations agricoles situées à plus de 20km de la capitale ont ainsi eu le bonheur d'apprendre qu'ils ne pourraient plus faire parvenir leurs production dans la capitale, et que, pour ceux résidant en ville, il ne leur serait plus possible d'aller visiter leurs champs.
La situation nous semblait (à nous expatriés) relativement affolante : Système de santé plus que bancal (5 respirateurs artificiels pour l'ensemble du pays), frontières fermées (donc impossibilité de partir se faire soigner à l'étranger en cas de soucis, lié ou non au Coronavirus), et facteurs socio-culturel très propices à la propagation de la maladie (Les gens mangent avec la main, dans le même plat, et vivent à 10 personnes (ou plus) dans des maisons au final relativement petites)
Au jour d'aujourd'hui (Jour de levée du couvre-feu, la situation est considérée comme "Sous contrôle" par le gouvernement), les conclusions qui peuvent être tirées sont les suivantes :
- Un peu moins d'un millier de cas déclarés (Dont une part non négligeable du gouvernement), et une trentaine de morts (Dont un ministre). Chiffres totalement invérifiables, tant le nombre de cas dépend du nombre de tests réalisés. (Et on se déplace un peu plus pour un membre du gouvernement, que pour un pousseur de charrettes dont le revenu mensuel ne dépasse guère quarantaine d'euros) Cependant, l'age moyen de la population (15 ans et quelques !!!!!) ainsi que la température caniculaire (limitant grandement la survie du virus à l'extérieur) peuvent constituer des pistes pour expliquer l'absence de tragédie, telle qu'initialement annoncée.
- La grande majorité des expatriés ont quitté le pays, par un vol d'AF affrété pour l'occasion, et les projets de développement sont dans leur immense majorité à l'arrêt/fortement ralentis. (J'ai personnellement fait le choix de rester, tout en prenant mes précautions pour pouvoir limiter au maximum mes déplacements.)
- Beaucoup d'opérateurs économiques sont à l'arrêt, et ont mis leur personnel en chômage technique : L'état n'ayant les moyens de prendre quoi que ce soit en charge, les structures continuent de verser un salaire... Équivalent à 50% du montant de l'original.
- Les travailleurs de l'informel, et en particulier ceux qui travaillaient la nuit, sont dans une situation assez dramatique : Phénomène d'endettement massif auprès des commerçants voisins... Qui ne peuvent malheureusement pas toujours supporter toutes ces dettes, et doivent refuser des crédits. (Crédits d'un demi kg de riz, ou d'une tasse d'huile, hein... )
- Pour ceux qui s'en sortent, diminution/arrêt des envois d'argent au village (Quand ton salaire est divisé par deux, tout ce qui n'est pas indispensable est à limiter...) => Les villageois de la brousse, qui n'ont été touchés ni par l'épidémie, ni par le couvre-feu, sont quand même fortement impactés par cette pandémie.
- Manifestations / mécontentement de la population dans les quartiers populaires. => Interventions "musclées" des forces de l'ordre, et emprisonnement de la presque totalité des acteurs de la société civile, permettant en même temps de museler ceux qui questionnaient sur les derniers scandales de détournements financiers au sein du gouvernement. (Environ 1.300.000.000.000 FCFA (Oui oui... Presque 2 milliards d'euros !!

) qui sont soupçonnés d'avoir été détournés du budget du ministère de la défense, au cours des dernières années, avec la complicité évidente de personnes haut placées au sein du gouvernement)
- Cette situation coïncide par ailleurs avec la période de soudure : Les récoltes de l'année précédente sont (presque) terminées, et celles de la saison prochaine n'ont pas encore été récoltées (Ni même plantées, pour la plupart). => Les populations rurales, déjà fragiles (qui constituent, contre quelques petits billets, un vivier de potentiels futurs djihadistes) se retrouvent dans une situation encore plus catastrophique que d'habitude.
Concernant le remboursement des dettes que ces pays doivent (Au pays occidentaux à l'origine, mais aujourd'hui de plus en plus à la Chine...), cela permettra sans doute de redonner une petite bouffée d'oxygène au pays et de permettre à la situation de ne pas empirer davantage. Mais... J'ai bien peur que si rien de plus n'est fait, l'on assiste dans le futur à une augmentation des capacités des groupes djihadistes, qui vont profiter de cette crise économique brutale pour recruter.