Partie 6
L’évolution des abris individuels est dépendante, entre autres, de données sanitaires et des géolocalisations des guerres, etc.
La guerre de Crimée (1853–1856) en est un exemple marquant à plus d’un titre et notamment sur le fait qu’une grande majorité de soldats soient morts pour des raisons autres que le combat !
Dans La guerre de Crimée : Chronique et analyse d’un désastre sanitaire (1854–1856), thèse de doctorat Histoire militaire et études de la défense 2006 à Montpellier 3, Marc Lemaire écrit : « La guerre de Crimée, qui engagea en tout 309 268 soldats, fut une catastrophe sanitaire. 94 500 hommes (30 %) en effet y perdirent la vie, dont seulement 15 000 (5 %) par le feu de l’ennemi. »
Dès1858, dans La guerre de Crimée, Lucien Baudens décrit les conditions de vie des troupes et donne des conseils suivant ses observations :
« C’est le maréchal Bugeaud, on le sait, qui a trouvé l’ingénieux système de la tente-abri, faite avec le sac de campement du soldat. Il a remplacé les coutures du sac par des boutonnières, et l’on peut ainsi le convertir à volonté en une pièce de toile carrée. Quand on a boutonné ensemble deux sacs ainsi déployés, on les maintient, avec un bâton, soulevés à un mètre de terre ; les angles sont attachés par de petits piquets, et les deux possesseurs des deux sacs ont un abri sous toile. Ainsi s’est trouvé résolu un grand problème ; on a évité le double inconvénient de trop charger les épaules du soldat, ou de transporter les tentes derrière l’armée par des moyens dispendieux et souvent impraticables. Nos soldats sont devenus mobiles et nomades comme les Arabes qu’ils poursuivaient. Cette tente a rendu de grands services en Crimée ; cependant elle a peu servi au milieu des rigueurs de l’hiver. Placée à la surface du sol, elle est trop froide ; ensevelie sous une couche de neige, elle est trop chaude, et l’air s’y corrompt trop rapidement. (p. 65)
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Le choix de l’emplacement pour une tente est d’une extrême importance. Il faut chercher l’air et éviter l’humidité, se porter sur des lieux élevés et non dominés, faire des canaux de dérivation pour les eaux. Si en hiver, pour se préserver du froid, on entoure la tente d’un mur de pierres sèches, il faut l’abattre dès qu’arrivent les beaux jours. C’est une faute d’enterrer les tentes à une certaine profondeur pour les rendre plus chaudes ; elles sont alors difficiles à purifier et humides. En Crimée, dans un certain nombre de tentes, le sol a été boueux pendant tout l’hiver.
Pour se coucher, chaque soldat doit, aux termes du règlement, recevoir une botte de paille tous les quinze jours ; il est bien rare en campagne que ce règlement soit exécuté. Peut-être vaudrait-il mieux remettre à chaque homme un morceau de toile imperméable dont il ferait un manteau quand il pleut et un préservatif contre l’humidité de la terre pendant les nuits de bivouac. (pp. 67–68)
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De même que les guerres de l’Algérie ont apporté dans le costume militaire certaines modifications qui l’ont approprié au climat, de même dans la guerre de Crimée on a emprunté aux indigènes tartares certains vêtements qui prémunissaient mieux nos soldats contre les rigueurs de l’hiver.
La criméenne est une ample et longue capote à capuchon et à petit collet, tombant jusqu’à mi-jambe. Le drap en est grossier, mais chaud et presque imperméable. Sauf les officiers généraux, qui se couvraient d’un pardessus garni de fourrure, tout le monde portait la criméenne : elle remplaçait le burnous et le caban africains. Ce vêtement a été fort utile, et peut-être sera-t-il définitivement adopté. Il préserverait le soldat des maladies qu’il gagne si souvent en passant brusquement de la haute température du corps-de-garde au froid de l’air extérieur pour monter sa faction de nuit. Le capuchon garantit la tête et le cou contre le froid, le vent, l’humidité ; il prévient les engorgements des glandes cervicales et les bronchites engendrées par les refroidissements. Une préparation de caoutchouc rendrait facilement imperméable le petit collet qui recouvre les épaules. (p. 71)
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Les Anglais n’ont pas pris la criméenne ; ils nous ont emprunté la tunique, et ont adopté comme pardessus un long spencer de tricot brun, protégeant efficacement la poitrine et les reins, laissant aux mouvements une parfaite liberté. La liberté des mouvements est un grand avantage, mais qui ne compensait pas les qualités de la criméenne. Nos alliés y ont suppléé par diverses pièces d’habillement. Au lieu du capuchon, ils portaient une casquette de loutre rabattue sur les oreilles et les joues, et ne laissant voir que les yeux, et la bouche ; le collet était remplacé par une grande toile de caoutchouc imperméable, qui servait de drap de lit dans les nuits de bivouac. Nos soldats portaient aussi, au commencement de la guerre, des espèces de spencers à manches, faits de peaux de mouton. La laine était en dedans, en contact avec le corps. Ce costume était peu gracieux, et, ce qui est plus grave, il donnait souvent une chaleur trop grande et entretenait la peau en transpiration. Quand le grand froid cessait, il y avait danger à le quitter, le corps s’étant habitué à cette moiteur. La laine retenait l’humidité, le suin crassait le second vêtement, la vermine s’y mettait. On y a renoncé.
La ceinture de flanelle est le meilleur préservatif contre les flux diarrhéïques, précurseurs des dyssenteries si fatales aux armées. Les vieux soldats habitués à la guerre d’Afrique n’ont garde de la quitter. Les conscrits n’en connaissent pas encore les bienfaits ; ils la perdent ou la laissent dans leur sac. Dans ce cas, le blâme doit remonter aux commandants et aux médecins du corps. Une mesure étant prescrite par le ministre, c’est à eux de la faire exécuter.
Les soldats anglais avaient chacun deux chemises de flanelle. Rien n’est plus hygiénique que la laine ; en hiver, elle donne une douce chaleur et entretient les fonctions cutanées ; en été, elle prévient les arrêts de transpiration. L’Arabe ne porte guère que des vêtements de laine. Nos soldats de marine en font usage sous toutes les latitudes. Deux chemises de laine ne sont guère plus pesantes qu’une chemise ordinaire de soldat ; elles pourraient en prendre la place dans le sac. Quand le soldat serait mouillé, il en mettrait une, et éviterait les bronchites si fréquentes, les pneumonies si souvent mortelles. (pp. 73–75)
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Les bas de laine, excellents quand ils sont bien secs et bien propres, restaient souvent humides quand les soldats étaient privés de feu au bivouac, et beaucoup d’hommes ont eu les pieds congelés pour s’être endormis avec des bas de laine et des souliers mouillés. (p. 76)
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La tente-abri est tout à fait insuffisante pour l’hivernage ; elle est d’ailleurs trop courte, et laisse passer les pieds des hommes (p. 82)
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2° Des vêtements. — La capote criméenne a rendu les plus grands services ; il est urgent d’en pourvoir tous les soldats. Ils ont toutefois eu le tort de la porter pendant l’été, au lieu de la réserver pour les mauvais jours d’hiver. Cet abus les rend impressionnables au froid, et les livre désarmés à l’influence des intempéries. — La ceinture de flanelle est indispensable pour prévenir et arrêter les diarrhées si fréquentes et qui dégénèrent si facilement en dyssenteries ou autres maladies souvent très-graves. Elle doit être appliquée directement sur l’abdomen. Les vieux soldats expérimentés en font usage, mais il n’est pas aisé de la faire porter aux recrues. J’appelle sur cette infraction toute la vigilance des chefs de corps et des médecins de régiment.
On distribue aux soldats pour l’hiver une deuxième demi-couverture, afin de compléter la demi-couverture laissée à leur disposition pendant l’été. Cette demi-couverture charge beaucoup le soldat en route. Dès qu’elle est mouillée, ce qui arrive aux premières pluies, elle ne se sèche pour ainsi dire plus de tout l’hiver. J’ai la conviction qu’elle serait avantageusement remplacée par une chemise de laine rouge comme en portent les Anglais. La chemise de flanelle entretient une chaleur douce et uniforme. Il en faudrait deux par homme, à 4 fr. l’une, total 8 fr., à peu près le prix d’une demi-couverture. L’homme serait moins chargé, il aurait constamment sur la peau un vêtement chaud et sec parfaitement hygiénique. Ces chemises de flanelle devraient être d’un usage général dans nos infirmeries et ambulances : elles préviendraient et guériraient bien des maladies. (pp. 83–84) »