Je suis une lectrice silencieuse de ce forum depuis des années et franchement merci pour tout ce contenu, ces conseils, j'ai beaucoup appris, réfléchi, évolué grâce à vous tous. Je me dis qu'il est peut-être temps que j'y contribue aussi peut être à ma petite échelle. C'est un peu égoïste de ma part de profiter de tous vos retex, sans partager les miens -----
Ce qui m'a aussi décidé à partager mon expérience, c'est qu'après des années d'hésitation, j'ai fini par franchir la porte d'abord d'une initiation à la self défense féminine du centre social du coin, puis par m'inscrire au club de Krav-maga de notre instructeur. Et je me suis rendue compte que comme dans les films où la damoiselle en détresse est agressée dans une ruelle sombre par un méchant cagoulé, on travaille a priori très majoritairement des scénarios où on se fait agresser par un inconnu et où finalement l'agresseur est clairement défini comme l'agresseur. Lui c'est le méchant, nous on est les gentils, on se protège, on se défend. C'est "simple", c'est noir ou blanc. Mais je ne peux pas m'empêcher de me poser la question du comment on peut se préparer aux zones plus grises de la vie réelle ?
Parce que moi, je connaissais mon agresseur. Ca faisait plusieurs mois que je le croisais au boulot, qu'on discutait ensemble. Un mec tout ce qu'il y avait de plus agréable. Il m'a invité à aller boire un verre et j'ai dit oui, la vie normale quoi.
Je n'ai pas bu d'alcool car je conduisais, il a pris deux bières. Y'a aucune drogue qui a été versée dans mon verre. On a passé une super soirée ensemble, on a discuté, refait le monde, joué au billard, flirté. Sincèrement c'est le type d'homme que j'aurais rappelé, à qui j'aurais proposé une autre soirée, avec qui j'aurais pu aller plus loin, dont j'aurais pu tomber amoureuse.
On sort du bar, il pleut. Il est venu à pied (même s'il a une voiture) et il habite loin alors j'ai pitié de lui et je lui propose de le raccompagner en voiture jusque chez lui. Mais je pose le cadre direct "on a passé une soirée très agréable ensemble, mais même si je le raccompagne, pas la peine d'avoir une idée derrière la tête, je ne coucherais pas avec lui comme ça dès le premier soir". Il acquiesce "pas de problème, t'inquiète, on est sur la même longueur d'onde".
En bas de chez lui, il me propose de monter, juste pour boire un dernier verre, continuer à discuter. Idem, je lui dis que je ne suis pas dupe, que je sais bien ce qu'il cherche et que non, je ne finirais pas dans son lit ce soir. On a passé une bonne soirée, on se reverra surement, mais là je vais rentrer. Il me sort l'argument ultime "pour qui tu me prends, je vais pas te sauter dessus, je vais pas te violer non plus. Non, je veux juste faire durer un peu plus cette soirée parce qu'on a passé un très bon moment ensemble. On peut quand même continuer à discuter autour d'un verre entre gens civilisés.". J'hésite. J'accepte. Je pense à tous mes amis hommes, gentlemen, adorables, avec qui je peux passer une soirée seule sans qu'il se passe quoique ce soit, avec qui même j'ai parfois dormi sur le même matelas (en tournée) sans que ça aille plus loin. J'accepte de lui faire confiance, parce que je leur fais confiance à eux.
Dès que j'ai mis un pied dans son appartement, j'ai su. Il y avait un truc qui clochait. Absolument chaque fibre de mon corps me disait "reste pas là, barre toi". Mon instinct a compris avant moi, mais je ne l'ai pas écouté, j'ai utilisé ma raison contre lui. Je lui ai dit de se taire "arrête ta parano, tu veux quoi, finir nonne ?!". Ma première erreur.
Dans l'appartement, il n'y avait absolument aucun meuble, aucune déco, rien absolument rien. Juste un matelas posé à même le sol au milieu de la pièce, un vieux carton avec un ordi dessus et c'est tout.
Sans rien dire il a fermé la porte à clé derrière moi, il a fermé tous les volets. Je me suis sentie piégée mais j'ai tenté de rationaliser ("il rentre du boulot, il ferme tout comme il le fait peut être tous les soirs en rentrant, y'a des gens comme ça"). Il m'a demandé de retirer mes chaussures. C'est un détail anecdotique, un truc facilement explicable pour "pas salir" mais je me suis sentie encore plus vulnérable sans mes chaussures, comme si mentalement j'étais encore plus prise au piège, incapable de fuir. Mon instinct continuait de me dire qu'il fallait que je parte, et je continuais à essayer de rationaliser.
Je me suis assise sur le matelas posé au sol, parce qu'il n'y avait nulle part ailleurs où s'asseoir. Il m'a demandé ce que je voulais boire et a disparu dans la cuisine.
Il est revenu dans la pièce les mains vides. Je n'ai jamais eu mon verre et je ne suis pas sûre qu'il ait eu réellement l'intention finalement de me servir à boire. Une autre alarme silencieuse s'est allumée quelquepart dans mon cerveau quand je l'ai vu revenir sans rien. Quelquechose cloche.
Et puis, je sais pas...
Y'a un grand trou noir dans ma mémoire. Je n'arrive même pas à savoir combien de temps il me manque dans le fil des évènements. Je n'ai pas l'impression qu'il se soit écoulé plus de 1 ou 2min mais ça pourrait être 5 ou 10min aussi. Aucune idée, le disque dur a été effacé.
Dans l'image d'après, je suis couchée sur le matelas, il est sur moi, me tient les poignets. Plus j'essaie de me dégager, plus il me tient fort, plus il pèse de tout son poids sur moi.
Je me dis que c'est un malentendu, que si je lui explique clairement, il va comprendre. Alors, je lui redis encore et encore "arrête, je ne veux pas, lâche moi, je t'ai dit que je ne voulais pas coucher avec toi". Au début il me répond sans me lâcher pour autant "Fais pas la prude, tu sais que t'en as envie, laisse-toi faire". Puis très vite il ne me répond même plus, il est juste dans l'action. Et moi... je continue à argumenter, négocier parce que ça me semble tellement inconcevable que cet homme avec qui je discutais encore il y a une demi-heure, que cet homme qui était si sympa et attentionné ne puisse pas comprendre ce que je suis en train de dire. Peut-être aussi parce que c'est le coeur de mon métier d'expliquer, de parler et qu'il m'est arrivé bien des fois de réussir la désescalade d'une situation très tendue, voire agressive rien qu'avec des mots. C'est sûr, si je lui explique, il va comprendre, il va arrêter.Mais non.
Et là, je réalise. C'est réellement en train de se passer. Il est déjà en moi. Il m'a retiré ma petite culotte et il est en train de me violer.
Mon cerveau bloque. Ca a tellement aucun sens, aucune logique, aucune rationalité. Je n'arrive pas à associer les deux images, je n'arrive plus à comprendre qui j'ai en face de moi. L'homme gentil, génial, en qui j'avais confiance, est devenu un agresseur, mon violeur. Mon cerveau ne sait pas quoi faire de tout ça alors... il m'abandonne. J'ai vraiment l'impression que quelqu'un a arraché la prise de courant, et que mon cerveau s'est fait la malle en me laissant toute seule là. Désolé, mais moi je suis dépassé, je me barre.
Dans les discussions entre amis j'entends souvent mes copines me dirent qu'elles, elles ne sont pas du genre à se laisser faire, qu'elles ont trop de caractère pour se soumettre, qu'elles ne sont pas des victimes et qu'elles se débattraient sacrément et jusqu'au bout. Moi aussi, je le pensais et même je le disais. Et en vrai, je suis quelqu'un qui ne se laisse pas faire, j'ai déjà vécu d'autres situations très tendues y compris une agression où j'ai réussi à faire face et même à être celle qui prend les choses en main. Mais là, ce n'est plus moi aux commandes. Je ne suis plus capable de bouger, de parler, ni même de réfléchir. Je ne suis plus là. J'ai l'impression que la personne que j'étais est juste devenue minuscule et tente de se cacher dans un tout petit recoin de mon corps. Et elle me répète "ne bouge pas, ne respire même pas, sois comme morte et ça passera plus vite". C'est quelquechose de fou, car jamais consciemment je n'accepterais un jour de me dire ça, et à cet instant là, pourtant y'a plus que ça. Je suis juste comme morte.
Et puis, je ne sais pas pourquoi ni comment, mais à un moment je réalise qu'il n'a pas de préservatif. Je ne sais pas si c'est parce que je suis de la génération sida et qu'on m'a rabaché toute ma jeunesse le "sortez couvert". Mais ce petit détail rallume la lumière, on a rebranché la prise, je retrouve mon cerveau. Une part de moi s'écrie "déjà qu'il me viole, mais sans préservatif, alors là pas question !".
Alors je me débats beaucoup plus fort cette fois. Je pense qu'il ne s'y attendait plus, qu'il était persuadé que je n'essayerais plus de m'échapper, que c'était gagné "j'étais à lui", parce qu'il avait un peu relâché son étreinte et finalement avec l'effet de surprise j'arrive à me dégager sans trop de difficulté. Le temps qu'il comprenne, je me suis déjà mise à courir, je me sauve dans le couloir, il tente de me rattrapper mais s'arrête à la porte de son appartement. La peur que je crie et réveille ses voisins ? Aucune idée, je sais juste que j'ai dévalé les escaliers, j'ai sauté dans ma voiture, et je me suis enfermée chez moi.
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Je ne sais pas si mon expérience peut aider d'autres à mieux se préparer ou mieux se défendre. Personnellement, ça m'a surtout appris à faire confiance à mon instinct et à l'écouter.
J'ai aussi retenu que la force du conditionnement pouvait parfois être la seule chose qui reste quand la raison est dépassée. Ici ça m'a en même temps aidé et desservie. Aidée car c'est ce qui m'a permis de sortir de l'état de sidération, desservie parce que quelque part j'ai aussi été conditionnée à n'avoir peur et à me méfier que "des inconnus dans les ruelles sombres". D'ailleurs, de la même façon combien d'homme ne voit derrière le terme "violeur" que le type cagoulé et armé qui traine dans les parkings souterrains et ne se rendent pas compte qu'ils sont eux aussi des violeurs même sans cagoule, quand ils forcent leur petite amie ?
Je n'ai jamais appris que l'agression pouvait venir d'une personne en qui j'avais confiance. Je n'ai jamais appris à me protéger et à me défendre (en déployant toute ma détermination et mon agressivité) de quelqu'un que je connais, que mon intégrité physique et mentale est plus importante qu'un lien social ou affectif. Je trouve ça compliqué, j'imagine qu'il est normal d'hésiter, d'avoir peur de blesser physiquement ou même affectivement quelqu'un quand ce n'est pas un inconnu, quand on a un lien avec lui. Alors je me demande comment vous gérer ou vous géreriez ce paramètre ?
Merci en tout cas de m'avoir lu.