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Auteur Sujet: Evacuation en contexte de flambée de violences armées: retour d'expérience(s)  (Lu 9119 fois)

06 décembre 2020 à 11:28:28
Lu 9119 fois

cosmikvratch


Salut, un témoignage que j'ai longtemps hésité à faire sur ce forum... mais au final c'est un exercice intéressant aussi pour moi. Et je me dis que ça peut faire avancer le schmilblick de donner des exemples concrets, surtout si c'est contextualisé correctement. Dites moi si c'est le cas ou pas!

Remarques préliminaires:
-e ne suis pas un théoricien de la sécurité, c'est juste qu'au cours des 10 dernières années j'ai été confronté assez souvent à des situations de violences à survenue brutale avec composante d'évacuation (au point qu'on m'appelle "chat noir"  ;#), qui ne sont représentatives de rien d'autres qu'elles-mêmes... j'y trouve quand même des points communs et c'est ce qui est à mon avis le plus intéressant.

je ne rentre volontairement pas dans les détails de nos stratégies internes de gestion des risques, et n'en fais ressortir que celles qui me paraissent pertinentes en rapport à l'évacuation, c'est déjà un gros sujet je trouve ;).

Mes conclusions sont à prendre avec précaution, car chaque contexte est différent, et il est impossible d'avoir une "recette" pour la prise de décision... il y a quand même certains réflexes qui peuvent être utiles.

une des spécificités communes à tous ces exemples est que l'évacuation totale ne va jamais de soi: je bosse pour une ONG médicale qui gère des structures de soins, et lors de violences, non seulement l'utilité de nos activités est maximale: réception d'afflux massifs de blessés et possibilité de sauver pas mal de vies, mais aussi facteur protecteur: le fait d'être (le plus souvent) la seule structure de soins  conservant une activité dans les zones de violence nous rend utiles aux combattants, qui en sont conscients, et cesser cette activité peut nous mettre en danger: on perd cette utilité pour les combattants, voire on risque des représailles car ils comptent sur nous pour soigner leurs blessés... On se retrouve donc plutôt dans des questionnements de type: comment réduire la taille de l'équipe pour réduire l'exposition au risque tout en gardant une capacité d'action: concept de "skeletton team". Cette composante limite la portée de ce que je vais raconter pour le pékin moyen confronté à une décision d'évac, désolé.

je mets l'accent volontairement sur des "erreurs" commises: c'est facile à dire après coup, mais sur le moment c'est pas pareil, donc merci de ne pas juger (c'était une des raisons de mes hésitations à témoigner). Au sein même de ces exemples il y a eu principalement des bonnes décisions, et si on juge sur résultats, ces exemples sont des succès: pas de blessés, morts, kidnappés... ce n'est malheureusement pas toujours le cas mais les exemples seraient trop sensibles pour que j'en parle sur un forum public.

J'ai choisi ces quelques exemples car ils me semblent variés et représentatifs, y'en aurait d'autres;)
Je ne rentre volontairement pas trop dans les détails/dates des contextes rencontrés, pour conserver un anonymat relatif.


exemple 1: offensive djihadiste sur la zone
prise de contrôle d'une région par un groupe djihadiste. On a un hopital dans la zone.
Je rentre de vadrouille dans la région sans moyen de communication (téléphone satellite=espion=t'es mort), et découvre qu'il y a des combats dans la ville où je suis basé. Il y a un check point à l'entrée de la ville qui empêche les voitures de rentrer, on fait l'erreur de négocier pour le franchir, et d'être trop persuasifs: on traverse la ville au milieu des combats, on a vraiment eu du bol de ne pas se prendre une balle ou une grenade.
enseignement: un check-point, même tenu par des "méchants" (djihadistes en l'occurence), peut être protecteur, ne pas forcément considérer qu'il n'est qu'un obstacle à franchir. Ne pas s'obséder pour rejoindre le lieu où on se sentirait en sécurité, parfois il est plus safe de rester où on est, même relativement exposé.
Quelques heures plus tard, ils ont pris la ville. Premier réflexe: tous partir. Mais on comprend rapidement que les djihadistes  cherchent à "séduire" a population locale (phase initiale classique de prise de contrôle), et que cette population ne leur pardonnerait pas la fermeture de notre hopital... et donc qu'ils ne nous pardonneraient pas une évac totale (plusieurs heures de route en territoire très exposé sans lisibilité contexte). On décide quand même d'évacuer une partie de l'équipe sans les prévenir le lendemain matin... ça a été chaud pour se justifier et leur faire comprendre que l'hosto était toujours fonctionnel. Au final on a réussi à bosser dans la zone pendant encore plusieurs mois, et réussi à faire des arrivées/départs sans gros souci. (ensuite ça s'est révélé impossible de rester plus longtemps mais on n'a pas eu de gros problème sécu type blessé/tué/kidnappé)
Enseignement: une évac trop rapide et sans préparation/contact avec le groupe armé en "contrôle" peut provoquer une réaction violente, et donc augmenter l'exposition au risque. Il est parfois urgent d'attendre.


exemple 2: bouffée de violence entre armée et forces de sécurité "privé
e"
Des combats éclatent dans la capitale d'un pays instable entre plusieurs centaines de combattants VS l'armée. Ca se passe à queques centaines de mètres de notre bureau alors que nous sommes sur le point de partir rejoindre notre logement situé à 3 km. Il n'y avait aucun moyen de prévoir ça (contexte national tendu, mais capitale épargnée sans combats depuis plusieurs années, a priori les combats ont démarré sur un malentendu, donc pas du tout planifié)
Le bureau dispose d'une "salle sécu" (avec matelas, protections passives, caisse bouffe)
ça pête fort pendant 2-3 heures (plusieurs centaines de morts), puis calme. Très peu d'infos sur ce qu'il se passe. La nuit est tombée. On a le strict minimum au bureau et une salle sécu très exigue alors qu'à la base vie on a de la place, et de quoi tenir confinés pendant plusieurs semaines.
Un check point militaire a été mis en place à la sortie du  quartier, on va parlementer avec eux pour voir si on peut passer... ils sont ok. On fait un convoi de 3 bagnoles avec 6-8 personnes/véhicules.
Les soldats pêtent un cable, ils ne pensaient pas qu'on serait autant, et nous négocions pour passer quand même... pour se faire arrêter au check point suivant 300 mètres plus loin, où c'est limite violent, on fait demi tour avant de se prendre des coups et on passe la nuit au bureau entassés dans la salle sécu. On découvre que la malle bouffe est quasi vide car dans la rotation des périmés ils ont sorti plein de trucs la veille et le remplacement n'est pas encore fait.
Enseignement: un stock bouffe ne doit jamais être dépouillé, même très temporairement
Enseignement:  3km selon les contextes, c'est très loin


le lendemain matin tôt on trouve un contact plus haut gradé qui prévient tous les check points sur notre chemin (6 en 3 km si je me souviens bien!), on arrive à rejoindre notre base 2h avant la reprise des combats qui durent 3 jours, avec des violences très intenses. Hibernation totale.
Enseignement: la fenêtre pour se déplacer dans une zone de combat peut être étroite, et la situation est souvent un peu plus calme au petit matin (combattants qui se reposent), là dessus j'ai plein d'exemples.

On résussit ensuite à évacuer par avion une grosse partie de l'équipe, et à démarrer des activités médicales de prise en charge de blessés/ support à la population.


exemple 3: entrée en guerre surprise
Pays en pleine guerre civile avec bonne compréhension des forces en présence et des lignes de front/zones sensibles. Reception d'informations dans les heures qui précèdent l'attaque de ce pays par un autre.
Nous avons une équipe et un hopital à 3h de route de la capitale.
Décision de passage en mode équipe squelette et envoi de l'essentiel de l'équipe internationale en capitale pour prendre un avion et sortir du pays.
Voyage en voiture ok jusqu'en capitale, puis nuit passée en salle sécu sous un pilonnage aérien massif, qui ne touche cette nuit là que la capitale, donc pas la zone où était l'équipe avant la décision d'évac... zone qui restera relativement épargnée pendant la guerre (qui dure toujours).
Au matin l'équipe arrive à monter dans le dernier avion qui quitte le pays.
Enseignement:  décision d'évacuation prise en 30 minutes, fenêtre d'opportunité courte, avoir a capacité de faire son sac très vite.
Questionnements sur la pertinence de l'évacuation... exposition augmentée la première nuit (bombardements), mais ensuite l'aéroport international a fermé, donc opportunité unique de réduire l'exposition d'équipes.
Il a ensuite fallu plusieurs jours de négociations pour obtenir le droit de faire atterrir un autre avion et evacuer d'autres staffs.


exemple 4: l'anarchie brutale: affrontements entre groupes armés en contexte urbain, pillages
Contexte d'état failli en pleine guerre civile. Relatif calme dans la capitale depuis quelques mois, forces internationales déployées. redémarrage brutal de combat entre les 2 groupes en conflits sur l'enemble de la ville, et forces internationales trop occupées à évacuer les VIP internationaux pour être en capacité de s'interposer. En quelques heures c'est Mad Max, avec des barrages tous les 100 mètres de combattants drogués et  lourdement armés, et pillages progressifs de tout ce qui peut l'être, en particulier des organisations internationales.
Nous avons un hôpital capable de recevoir des blessés, et une base de coordination à quelques kilomètres.

Etape 1: base de coordination
Au vu de l'intensité des combats et de l'absence de lisibilité contexte (qui est où?), nous restons en hibernation 48h en salle sécu. Le quartier est soumis à des pillages et violences et le risque que ça nous arrive est réel, mais nous décidons  que le risque de circuler est supérieur.
Après 48h les pillages se rapprochent, les combats semblent moins intenses, nous avons quelques contacts sur la route, on décide de tenter le coup et de rejoindre l'hôpital qui semble moins menacé, car nous y soignons des blessés des 2 camps.
On traverse la ville en ambulance cachés derrière les vitres teintées, ça passe, impossible de savoir si c'était la bonne décision. Notre base coordination sera finalement épargnée malgré des tentatives d'intrusions prévenues par les habitants du quartier.
Une base secondaire sera pillée et mitraillée seulement quelques heures après l'évacuation de ses occupants, qui étaient considérés comme parti prenante du conflit (ethnie/religion).
Enseignement: ne pas se jeter sur la route immédiatement était là encore probablement la bonne décision.

Etape 2: l'hopital
Hopital fonctionnel avec des combats aux alentours, tensions importantes à l'entrée lorsque les combattants amènent leurs blessés, en particulier lorsque les 2 camps se croisent, mais on arrive à gérer. Au bout de 3 jours les Nations Unies se signalent enfin à nous, et proposent de sécuriser l'entrée de l'hopital par des blindés. Nous refusons car les considérons comme cible potentielles du conflit. Ils stationnent finalement des blindés à quelques centaines de mètres de l'hopital, qui se font rapidement attaquer et même détruire en partie.
Enseignement: chercher protection auprès d'une force armée ciblée dans le conflit et en incapacité de se protéger elle-même n'est pas forcément une bonne idée. :)

dans les jours qui suivent nous réduisons l'équipe internationale au minimum tout en gardant l'hopital fonctionnel, et en évacuons 80%. A noter que les seules violences directes subies par nos équipes se produisent lors ce cette évacuation: lors d'une traversée en pirogue pour rejoindre le payus voisin, braquage par des "pirates" du fleuve. Quelques coups et items volés, rien de dramatique.


points communs à retenir selon moi:

-utilité fréquente de "salles sécu": protection contre les balles perdues/explosion par sacs de sables (plafond++), malles de soins d'urgence et surtout malle sécu avec quelques jours de bouffe, de l'alcool, des cigarettes, jeu de carte (et capotes, en particulier si présence de femmes et risques de violences sexuelles). Il ne s'agit pas à proprement parler de "panic rooms" car en général pas d'utilité de portes blindées: risque de renforcer la violence de l'intrusion lorsqu'elle se produit.
Une serrure simple fermée à clé en cas d'intrusion peut suffire à décourager le braqueur pressé/peu motivé, s'il veut vraiment entrer et qu'il a le temps, il entrera et sera d'autant plus énervé que ça lui demandera des efforts importants d'où violences++.

-durée courte des violences maximales lors des combats: besoin de repos des combattants en fin de nuit, et après quelques jours, et réouverture des commerces pour manger pendant 24/48h, avant une éventuelle reprise des conflits

-importance vitale de contacts faits en amont avec les groupes armés, sans doute bien plus difficiles à faire à titre individuel, mais c'est meilleur moyen d'aide à a décision, et pour sécuriser un déplacement

-risque lié à l'évacuation le plus souvent supérieur à celui de rester sur place, avec exception lorsqu'on est potentiellement assimilé à une des parties du conflit: risque de ciblage.LE PLUS SOUVENT, IL EST URGENT D'ATTENDRE si on n'est pas exposé à un risque immédiat.

-quasiment toujours: impossibilité de déplacement la nuit, ce qui laisse quelques heures pour se préparer

-parmi les plus gros incidents sécu dont j'ai été témoin/dont je connais les détails (passage à tabac, kidnapping, balles perdues) (à l'exception de braquages par groupes armés qui tournent mal...) on retrouve souvent une décision impulsive de déplacement: l'exposition est maximale lorsqu'on est sur la route, en particulier si on ne sait pas qui contrôle les axes: il est plus facile de comprendre qui est en "contrôle" de la zone où on est abrité (même si ça peut changer tous les jours) et de trouver un interlocuteur, que de faire les contacts avec les multiples groupes qui contrôlent un axe, avec des check-points tous les 100 mètres...

Voilà, je suis conscient que ces situations sont très spécifiques, mais peut-être que d'en avoir entendu parler peut aider quelqu'un qui se retrouve dans une situation d'évac.
Et si certains du forum ont des expériences qui contredisent les miennes, dites-le! ça pourrait être utile pour équilibrer un peu les conseils, toujours très spécifiques à un contexte et une situation donnés.

A+
Life's a bitch (and then you die)

06 décembre 2020 à 11:59:20
Réponse #1

Rantanplan


Merci.

Citer
"-quasiment toujours: impossibilité de déplacement la nuit, ce qui laisse quelques heures pour se préparer"

Est ce que tu pourrais en développer les raisons, please ?
Rire nous rend invincibles. Pas comme ceux qui gagnent toujours mais comme ceux qui n'abandonnent pas. - Frida Kahlo

06 décembre 2020 à 12:07:51
Réponse #2

VieuxMora



06 décembre 2020 à 12:10:44
Réponse #3

cosmikvratch


Merci.

Est ce que tu pourrais en développer les raisons, please ?

combats nocturnes (surtout en mode guerrilla)
pillards de sortie
check-points verrouillés
combattants shootés et plus nerveux
risque d'être confondus avec des combattants
"big boss" injoignables, donc autonomie des chefs d'unités, souvent plus dangereux
...
Life's a bitch (and then you die)

06 décembre 2020 à 14:48:32
Réponse #4

guillaume


Merci pour cet excellentissime post :akhbar:.

Quelques questions/remarques :

-Des devises du pays vous ont elles permis de monnayer vos passages ? Ou votre statut suffisait ?

-Qui prend la décision de rester ou partir pour l'équipe et comment ?

Citer
Enseignement: la fenêtre pour se déplacer dans une zone de combat peut être étroite, et la situation est souvent un peu plus calme au petit matin (combattants qui se reposent), là dessus j'ai plein d'exemples.

D'un autre côté, certains groupes armés bien entrainés attaquent au petit matin. Les combattants qui se reposent c'est valable dans le monde entier et certains l'ont très bien intégré...

Citer
LE PLUS SOUVENT, IL EST URGENT D'ATTENDRE

Rien à ajouter :up:.

Merci !

06 décembre 2020 à 15:17:51
Réponse #5

Rantanplan


J'ai encore des questions.  :-[

A propos des des combattants shootés...

- avec quelles substances se droguent ils ?
- pourquoi se droguent ils (avantage au combat, addiction, rite "culturel" ?)
- sont ils contraints par leurs suppérieurs de se shooter ?

Rire nous rend invincibles. Pas comme ceux qui gagnent toujours mais comme ceux qui n'abandonnent pas. - Frida Kahlo

06 décembre 2020 à 16:00:00
Réponse #6

cosmikvratch


Merci pour cet excellentissime post :akhbar:.

Quelques questions/remarques :

-Des devises du pays vous ont elles permis de monnayer vos passages ? Ou votre statut suffisait ?

-Qui prend la décision de rester ou partir pour l'équipe et comment ?

D'un autre côté, certains groupes armés bien entrainés attaquent au petit matin. Les combattants qui se reposent c'est valable dans le monde entier et certains l'ont très bien intégré...

Rien à ajouter :up:.

Merci !

Merci à toi  ;#

pour le cash:
-on a pour règle de ne jamais donner de cash aux checkpoints, vu qu'on travaille dans ces zones sur la durée ça se sait, et du coup, même quand ils tentent l'extorsion ils le font mollement. Ca arrive qu'on lâche du médical (boite de traitement, préservatifs) éventuellement une clope ou une bouteille d'eau... Quand d'autres acteurs commencent à lâcher des bakchichs ça nous fout en rogne car ça rend notre positionnement plus dur à tenir.

-par contre pour les authentiques braquages/barricades sauvages, on a toujours sur nous ce qu'on appelle une "enveloppe sécu" avec en gros 100$ dont la moitié en monnaie locale, histoire d'avoir quelque chose à se faire voler et qu'ils soient contents donc moins violents. Mais on ne donne que sous la menace directe. Donc ça reste relativement rare. Dans certains pays les braqueurs connaissent la somme qu'on a sur nous au dollar près, il vaut mieux avoir l'intégralité  >:(

pour les attaques au petit matin... ben c'est des attaques surprises donc en général pas quand ça a canardé toute la nuit ;) (mais oui ça peut toujours arriver, c'est juste des tendances observées)

pour la décision de partir/rester, la règle c'est que le terrain a le dernier mot pour la décision de rester et c'est en général respecté, il y a consensus le plus souvent, mais chaque niveau de décision peut décider de l'évacuation contre l'avis des niveaux "inférieurs" (coordination pays, cellule opérationnelle régionale, direction des opérations...). Lors de décision d'évac on obéit et on conteste ensuite. Rare, et souvent mal vécu par les équipes, mais système de décision justifié par la tendance à la minimisation du danger quand on y est confronté au quotidien.

Il faut souvent compter dans le raisonnement les décisions individuelles: quant ça pète une partie de l'équipe demande souvent à être évacuée asap et on respecte ça autant que possible, et ça change souvent au dernier moment le format de l'équipe squelette... et justement quand le trajet est la partie la plus risquée ça peut occasionner des tensions si on décide d'attendre un peu. En général on sort aussi les moins expérimentés, qui vont avoir tendance à faire trop confiance en la capacité de l'ONG à les protéger, donc décision trop biaisée. ça aussi ça crée des frustrations.

J'ai eu la "chance" de quasiment toujours faire partie des équipes qui restent, mais il semblerait que c'est plus difficile d'être celui qui part, avec le stress de ne pas savoir comment ça va sur place.
Life's a bitch (and then you die)

06 décembre 2020 à 16:06:38
Réponse #7

bloodyfrog


Merci pour ce partage excellent, qui ravive en moi quelques lointains souvenirs de métropoles africaines...

Bravo pour ton engagement.
Les chats noirs sont importants.
On sait que la m*rde ne tombera pas ailleurs! ;D

Manu.

06 décembre 2020 à 16:17:31
Réponse #8

cosmikvratch


J'ai encore des questions.  :-[

A propos des des combattants shootés...

- avec quelles substances se droguent ils ?
- pourquoi se droguent ils (avantage au combat, addiction, rite "culturel" ?)
- sont ils contraints par leurs suppérieurs de se shooter ?

Alors là il y trop de cas différents en fonction des contextes, cultures, religions... il y aurait un bouquin à écrire là dessus (ça existe peut-être déjà)c
Mais grosso modo tous les combattants que j'ai croisé se dopent d'une manière ou d'une autre, ça va des stimulants purs (khat, amphétamines, cocaine...) aux sédatifs (opioïdes, anxiolytiques, alcool, cannabis...) en passant par des trucs plus bizarres genre hallucinogènes...
Life's a bitch (and then you die)

06 décembre 2020 à 17:49:46
Réponse #9

Kilbith


Excellent message un des meilleurs qu’il m’ait été donné de lire sur ce bon forum. Renvoyé illico vers les fistons.


Merci!
"Vim vi repellere omnia jura legesque permittunt"

06 décembre 2020 à 18:40:00
Réponse #10

cosmikvratch



Les chats noirs sont importants.
On sait que la m*rde ne tombera pas ailleurs! ;D


par contre i y en a qui font la tronche quand ils me voient débarquer! :lol:
Life's a bitch (and then you die)

06 décembre 2020 à 21:13:38
Réponse #11

cosmikvratch


Ajout

à la relecture, j'ai envie d'ajouter 2-3 trucs que j'ai remarqué:

-moral des équipes
le stress est contagieux, il y a toujours des gens qui flippent plus que d'autres dans ces contextes de violence, et ça peut affecter la capacité de décision rationnelle de l'ensemble du groupe. Le meilleur remède est l'humour. le classique "kisékapété" dans a salle sécu marche bien, distribution de bonbons et organisation de jeux débiles lors de l'attente avec vacarme d'explosions à l'extérieur peuvent vraiment faire une différence au moment de prendre une décision d'évac avec adhésion de tout le monde. Une personne en panique peut vraiment faire foirer une évac.

-monitoring contexte
en dehors des groupes armés, avoir un mapping de tous les gens qu'on peut joindre par téléphone en fonction de leur localisation avec check juste avant le mouvement peut vraiment faire une différence sur le choix d'un itinéraire


-réseaux sociaux:

twitter, youtube, facebook regorgent d'informations, et streamings en temps réel lors d'évènements violents, partout dans le monde maintenant, et ça peut aider sur les décisions de mouvement/itinéraire. Si on ne parle pas la langue, mettre un local à plein temps sur le sujet peut vraiment faire une différence (twitter m'a probablement sauvé la vie 3 fois)

-obsession du regroupement:
lorsqu'une équipe est éparpillée au moment des violences a tentation est grande (et naturelle) de vouloir avoir tout le monde ensemble... c'est souvent contre-productif et source de mouvements non nécessaires et exposés. SI Jean-claude est en sécurité à l'autre bout de la ville, pas a peine de partir en voiture le chercher. c'est stressant et inconfortable, mais souvent une connerie de chercher à tout prix à regrouper une équipe. Remarquez que beaucoup de films d'action hollywoodiens sont basés sur ce prémice, avec mise en danger maximum du personnage principal (aller chercher sa femme/son gosse/son pote de manière irrationnelle et stupide)
Life's a bitch (and then you die)

07 décembre 2020 à 12:20:33
Réponse #12

DavidManise


Salut,

Immense merci et démonstration de gratitude  :akhbar:

C'est de l'or en barre.  Et je viens de faire circuler ton post à pas mal de gens à qui ça pourra un jour sauver des morceaux.

Merci pour ce retour d'expérience, et d'avoir pris le temps tout en t'exposant aux jugements faciles des gens qui en ont fait juste assez pour avoir une opinion taillée à l'emporte-pièce (autrement dit pas grand chose).

Je retiens plusieurs éléments transversaux qui seront potentiellement utiles dans d'autres contextes :

1) être rigoureux sur la préparation permet d'avoir plus de liberté et d'adaptabilité : liberté d'attendre planqué, liberté de bouger vite et bien, etc.
2) l'importance des aspects psy et émotionnels ;
3) l'importance d'avoir les bonnes infos au bon moment (comprendre les enjeux, savoir qui contrôle quoi, où aller, etc.) ;
4) l'aspect cyclique des choses : on peut pas se mettre sur la gueule indéfiniment, un moment donné faut manger, dormir, et tout ça...  même si on est sous captagon.  Une lecture lucide de ces cycles (marées ?) permet de saisir les opportunités... 

QUESTION : Pour un civil isolé, hors ONG, dans ce même genre de contexte, est-ce que tu aurais des recommandations particulières ? 

Merci encore  :love:

David
"Ici, on n'est pas (que) sur Internet."

Stages survie CEETS - Page de liens a moi que j'aimeu

07 décembre 2020 à 21:40:51
Réponse #13

cosmikvratch




QUESTION : Pour un civil isolé, hors ONG, dans ce même genre de contexte, est-ce que tu aurais des recommandations particulières ? 

Merci encore  :love:

David

merci à ce forum d'exister ;)

être inscrit au consulat/ambassade du pays dont on est ressortissant, avec moyen d'être contacté est probablement le meilleur truc à faire. Au pire se signaler en cas de besoin. Quand ça chauffe ils organisent des évacs et peuvent parfois envoyer les UN à a rescousse... délai parfois proportionnel à l'insignifiance sociale de la personne... si vous êtes le demi frère par alliance de la cousine du sous-préfet, signalez-le!
Nous on ne s'inscrit pas parce que leurs seuil d'évac sont souvent bas, et qu'ils nous cassent les burnes pour partir au moment où nos opérations deviennent intéressantes  :lol: (et qu'on a nos propres plans d'évacuation). Ceci dit ça nous a déjà sorti d'affaire une fois ou deux (exception).

A défaut se rapprocher de la grosse ONG la plus proche. On va être très agaçés d'avoir une personne en plus à gérer qui n'a pas prévu le coup, et pas forcément être très sympa, mais si ça chauffe vraiment on ne refusera pas refuge à quelqu'un en danger.
Life's a bitch (and then you die)

07 décembre 2020 à 23:22:29
Réponse #14

Patapon


Yo,

Merci pour ces supers retours.

Une question:

pour la décision de partir/rester, la règle c'est que le terrain a le dernier mot pour la décision de rester et c'est en général respecté, il y a consensus le plus souvent, mais chaque niveau de décision peut décider de l'évacuation contre l'avis des niveaux "inférieurs" (coordination pays, cellule opérationnelle régionale, direction des opérations...).

Autant nous lisons ça comme un récit, autant j'imagine que vue du pas de la porte, il y a énormément d'inconnus au moment d'évacuer; et plus la distance à parcourir est longue, et plus il y a d'inconnus (par exemple: les barrages, les routes impraticables, le lieu de destination exposé durant le trajet, etc). Tu parles ensuite du contexte monitoring, qui j'imagine aide bien. Aviez vous d'autres sources d'infos ou méthodes pour sécuriser - autant que faire se peu - le trajet?

Te remerciant par avance!

Hugo
"Prenez soin de la méthode avec laquelle vous vous mettez des choses dans le crâne."

08 décembre 2020 à 08:39:40
Réponse #15

cosmikvratch


etc). Tu parles ensuite du contexte monitoring, qui j'imagine aide bien. Aviez vous d'autres sources d'infos ou méthodes pour sécuriser - autant que faire se peu - le trajet?

Hugo

faire des plans d'évac n'est pas mon métier... mais en vrac, du bon sens et de l'anticipation:

-plusieurs routes à prévoir, tenant compte des zones qui peuvent chauffer, de la fermeture potentielle de routes ou d'un ou plusieurs aéroports
-routes faites régulièrement pour vérifier que ça passe (pas toujours possible)
-en mode brousse: véhicules bien entretenus et équipés (kit désembourbage, tire-fort, parfois tronçonneuse), stock carburant
-formation des chauffeurs (même potentiels) à la conduite prudente, à l'approche de check-points, personne désignée dans chaque véhicule pour parler aux forces armées
-décision si avoir un "visage pâle" en passager avant est protecteur ou au contraire facteur de risque
-anticipation des moyens de transport (pré-contrat avion privé, location long terme de pirogues...)
-procédures bien connues et anticipées (laisser-passer), si traversée de zones contrôlées par plusieurs groupes, ne pas les avoir en liasse car ça peut agacer un groupe de voir qu'on est en contact avec un autre
-contacts sur la route++ à refaire au dernier moment, que les groupes s'attendent à nous voir arriver/puissent nous prévenir si ça craint
-contacts haut-placés pour décoincer un blocage en cours de route: avoir bu quelques bières de temps en temps avec un chef de guerre génocidaire et récupérer son 06 peut sauver une équipe à l'instant t
-contacts constants et échanges d'infos avec les autres responsables sécu d'autres ONGs/ des UN
-toujours avoir son passeport sur place (pas toujours facile avec les démarches parfois longues de prolongations de visa), certaines équipes se retrouvent en détention aux frontières dans des conditions sordides quand pas de passeport et sortie sans passer par la capitale
-décisions sur l'identification (drapeaux sur véhicule, gyrophare, vestes à logo): souvent une bonne option, mais pas toujours (risques de ciblage, suivre les rumeurs sur notre ONG et les autres car parfois confusion avec d'autres)
-ça paraît évident mais pas toujours fait: révision/update régulier du plan! (les routes safe peuvent changer++ avec le temps)
« Modifié: 08 décembre 2020 à 09:09:31 par cosmikvratch »
Life's a bitch (and then you die)

08 décembre 2020 à 09:18:22
Réponse #16

florent.B


Merci Cosmikvratch pour ces infos !!  :up:

Je te rejoins à 200% sur l'urgence d'attendre, en cas de problèmes. Au moment où ca pète, tout le monde est tendu, ce n'est pas forcément le moment d'être sur les routes. Si on est pas une cible directe pour les nouveaux "responsables du maintien de l'ordre", mieux vaut attendre que la situation ait décanté avant de se trouver sur les routes.

Par contre, il est aussi possible, dans le cas où on risque d'être spécifiquement ciblé,  d'évacuer... Sans évacuer  ;# ;#
Une amie qui bossait pour une grosse ONG à quelques km de Mossoul il y a 5 ans (petite ville avec camp de réfugiés Syriens, et base avec quelques expats seulement) avait ainsi du évacuer en urgence et pour quelques jours vers une maison dans la même rue que sa guesthouse, mais appartenant à un local => Il y avait eu des infos selon lesquelles des gars de l'EI avaient des velléités de s'en prendre à eux, et la menace avait été considérée suffisamment sérieuse pour que le fait de changer discrètement de localisation (à 50m près) soit considéré comme nécessaire. C'est là qu'avoir des contacts préalables avec les populations locales s'avère indispensable !


Concernant le cas des civils isolés hors ONG, l'ambassade découpe très souvent le pays en "ilots", et  renvoie lors de l'inscription sur les listes consulaires vers les chefs d'ilots (ou ilotiers), expatriés présents sur place depuis longtemps, et qui sont un relai non-officiel de l'ambassade au niveau local.

Les ambassades n'auront que très très rarement les moyens d'aller toquer à la porte de tout les expatriés l'un après l'autre, d'autant plus que les adresses sont souvent imprécises (Heureusement, avec les nouvelles technologies, la solution "point gps + photo du portail" rend les choses plus faciles), donc en cas de soucis, ordre est donné de se regrouper chez le chef d'ilot, où les militaires se rendront pour l'évacuation.

Je n'ai jamais eu à évacuer pour l'instant, mais si je devais le faire, j'enverrai tout d'abord un "petit" (local, qui se justifiera en cas de contrôles en disant qu'il est sorti acheter du pain  ;# ) jusqu'au chef d'ilot", pour vérifier que la route est vraiment safe.
Muere lentamente quien se transforma en esclavo del hábito
repitiendo todos los días los mismos trayectos,
quien no cambia de marca,
no se atreve a cambiar el color de su vestimenta
o bien no conversa con quien no conoce.
(Pablo Neruda)

01 janvier 2021 à 13:08:33
Réponse #17

Kimie


Merci Cosmivratch pour cet "Art de la (survie en contexte) Guerre".
Je reviens sur le forum après une longue absenceet découvre des posts passionnants.
2021 commence bien.
Bonne année à chacune et chacun !

02 janvier 2021 à 13:49:49
Réponse #18

b@s


merci pour ce retour d'expérience riche d'enseignements pour ceux  qui comme moi n'y connaissent pas grand chose ... :up:

 


Keep in mind

Bienveillance, n.f. : disposition affective d'une volonté qui vise le bien et le bonheur d'autrui. (Wikipedia).

« [...] ce qui devrait toujours nous éveiller quant à l'obligation de s'adresser à l'autre comme l'on voudrait que l'on s'adresse à nous :
avec bienveillance, curiosité et un appétit pour le dialogue et la réflexion que l'interlocuteur peut susciter. »


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