Mon voyage avec les loups
Le loup qui fascine tant de gens après avoir été tant massacré et parfois quasiment éradiqué est un animal, en temps normal plutôt discret, élusif même. Vous pouvez passer des mois dans la taiga ou la toundra Canadienne sans en voir jamais un seul alors qu’il serait bien étonnant que vous n’y rencontriez au moins un ours. Selon mon expérience tout au moins. Pister le loup, pour l’étudier est probablement une activité passionnante dans laquelle il doit subsister une part de l’excitation atavique du chasseur avec comme aboutissement aléatoire le plaisir simple de l’observation. Remarquez bien que je ne saurais le dire, n’en ayant jamais pisté. Par contre il m’est arrivé d’être moi-même pisté sans que j’en ai jamais vraiment su la raison et je me demande encore quelle idée ces loups avaient derrière la tête.
A cette époque je passais quelques mois au Nord de Schefferville, au Québec , à parcourir en canoe une région connue sous le nom de fosse ou fossé du Labrador et qui s’étend jusque vers l'Ungava donc à l’intérieur du QUEBEC même et non pas dans la Province de TERRE-NEUVE et LABRADOR. Ces régions, qu’elles fassent partie du QUEBEC ou du LABRADOR, sont vraiment idéales pour la pratique du canoe, il y a une telle densité de cours d’eau, de lacs de toutes tailles que cet esquif traditionnel constitue vraiment le moyen de locomotion ad hoc. Il est d’ailleurs aussi à peu près le seul… en dehors de la marche et de l’hydravion…Le terme de pays aux mille lacs que l’on applique à la Finlande serait tout à fait justifié ici aussi (voir Google Earth si le cœur vous en dit)
De ces régions septentrionales, l’animal le plus emblématique est probablement le caribou qui constitue encore (même si elles ne sont plus ce qu’elles étaient) de grandes hardes qui font un peu penser aux troupeaux de gnous africains. Beaucoup moins nombreux sont les loups. Le Loup du Labrador (Canis lupus labradorius) est dit-on une des sous espèces les moins bien connues, les plus ‘’mystérieuses’’ peut-on lire dans des écrits de naturalistes… Alors j’ignore si les loups qui m’ont pisté dans la fosse du Labrador, au Québec étaient bien des labradorius ou bien de quelconques autres loups gris mais ce que j’en ai vu n’a pas contribué à mes yeux de profane en la matière à éclaircir le mystère.
Nous voilà donc partis pour deux à trois semaines au fil de l’eau avec un canoe court de 12 pieds, à la seule pagaie (sans hord bord) et un équipement léger. Nous avons en effet prévu pas mal de portages, non pas qu’il y ait beaucoup de rapides sur notre itinéraire mais parce que nous avons l’intention d’être en mesure, le cas échéant, de portager, au dessus d’une dorsale rocheuse pour passer entre deux lacs non naturellement communiquant.
Alors que la tranquille rivière sur laquelle nous nous laissions filer, débouche sur un lac linéaire, le courant s’est dilué et ne suffit plus à nous porter, il faut de nouveau pagayer pour avancer, d’autant que nous sommes face à un vent assez fort comme c’est souvent le cas sur ces étroits plans d’eau, pris en enfilade. Thomas mon compagnon Montagnais (Innu si l'on préfère) est à son poste c'est-à dire à l’arrière, moi devant. En cas de passage difficile c’est de l’arrière que tout se joue, celui est est à l'avant assis ou agenouillé est quand même utile: il peut repousser les rochers de la cuillère de sa pagaie.…
Grâce à cet expert qu’est Thomas j’ai appris à pagayer avec un minimun d’efforts et….en silence. On ne jacasse pas inutilement. Mes pensées vagabondent donc quelque peu … je pense aux Voyageurs du passé, à ces générations d’Intrépides, au Père Marquette, à Cavelier de la Salle… qui descendait le Mississipi sans savoir ce qu’il y avait au bout de son canoe, à ceux qui ont pris la direction de l’Ouest pour aller donner son nom au Grand Teton, à tous ces illustres prédécesseurs … je rêve, je sors du temps..… La pagaie de mon compagnon qui me laboure le dos me ramène à la réalité et à plus de modestie; je me retourne vers lui. Toujours de la cuillère de sa pagaie, il me fait signe de regarder devant, un peu sur la gauche, sur la rive. Devant nous à …. disons deux cents mètres, une étroite jetée naturelle formée d’une formation rocheuse plus dure s’avance d’une centaine de pieds dans le lac; à l’extrémité de cette jetée, tel la figure de proue d’un long esquif exotique, un loup hume le vent et donc nous tourne le dos, il ne peut ni nous sentir ni, tant qu’il regarde dans la direction du vent, nous voir. D’un signe de la tête mon compagnon me fait comprendre que l’on va continuer de s’en approcher… toujours en silence. Et nous nous en approchons en effet à une distance incroyablement courte au point que nous nous demandons si l’on ne va pas le caresser du bout de nos pagaies !!! mais il a du finalement nous entendre car il finit par tourner la tête et doit alors avoir la surprise de sa vie en nous voyant si près….avant de bondir dans la forêt.
Plus tard dans la journée, alors qu’après nous être arrêtés quelques heures pour les nécessités de la mission, nous avons quitté le lac et filons de nouveau sur la rivière mon compagnon pointe de nouveau sa pagaie vers la rive, un peu derrière nous : deux loups y trottinent. Tiens on dirait qu’ils nous suivent …à un moment ils sont deux … à un moment ils sont trois… y en a-t-il d’autres derrière les arbres ?
Après avoir passé une bonne nuit dans notre tente en bordure de l’eau et consommé un solide petit déjeuner agrémenté de truites, pêchées depuis la tente même et passées en une ou deux minutes de la rivière à la poêle à frire (çà c’est une expérience que l'on ne vit pas en descendant l'Ardèche) nous reprenons notre voyage.
Et bien sûr, au bout d’un moment, les loups sont de nouveau derrière nous sur la rive, qui trottinent, apparaissent, disparaissent… j’ose rompre le silence pour demander à Thomas :
‘‘mais qu’est ce qu’ils foutent à nous suivre ?’’
‘’pt’être bien qu’ils nous prennent pour des caribous, p’t être bien qu’ils comptent que l’un de nous deux va tomber malade et que l’autre l’abandonnera derrière lui’’ me répond Thomas.
‘’ Ah ! Bon !
Pendant la journée nous débarquons à plusieurs reprises, passons plusieurs heures à terre, aucun loup en vue, aucune trace de loup. Retournant au canoe nous scrutons la mousse à caribous blanchâtre (cladonia pour les botanistes, je crois) si fragile qu’elle est une véritable chambre d’enregistrement de tout ce qui est passé depuis des semaines, probablement bien plus longtemps même ……. on rapporte des cas oû des chasseurs ont retrouvé leurs propres traces d'une année à l'autre, donc après une saison de neige! Nous retrouvons donc l’empreinte de nos pas laissée quelques heures auparavant mais pas de traces des loups qui suivraient les nôtres, nous ne sommes donc pas à proprement dit traqués c’est déjà çà…brr !!!
La nuit au bord de l’eau est sans histoires, comme la précédente. Nous avons laissé le feu s’éteindre au lieu de l’entretenir pour garder les loups à l’écart, comme on le faisait dans les livres d’aventures de notre enfance!. Malgré cela rien…un nuit tranquille, pas même, pour l’ambiance le hurlement du loup pour que l’on sait cependant proche..
Le lendemain, donc le troisième jour, nous avons encore entrevu nos loups depuis le canoe, mais jamais à terre puis ils nous ont abandonné. P’être bien que Thomas avait raison, p’être bien qu’ils ont perdu espoir, p’être bien aussi qu’ils sortaient de leur territoire de chasse et qu’ils ne voulaient pas empiéter sur celui de leurs voisins et risquer la confrontation.
Longtemps plus tard je crois que j’ai compris l’intérêt des loups ; c’est le canoe qui les intéressait et pas les hommes qui étaient dedans… comme semble le montrer le comportement de ce loup arctique ( notons son gabarit inférieur à celui des loups de la taiga/toundra)
Taper : Arctic Wolf vs PakCanoe
cochise