Ce n'est pas tant le morceau de ferraille qui compte( enfin d'un point de vue technique si !), mais surtout ce que tu mets dedans. Certains forgent avec juste un marteau, d'autres avec leur âme...
Je ne sais plus si je vous avais raconté, mais voilà mes impressions du premier contact avec l'acier brulant.
"Il ya d'abord la voix... au téléphone... Pudique, osant à peine.
La route pour y aller... me débarasser de toute pensée, arriver propre, vide suffisamment pour etre en etat de recevoir.
Et puis le regard, clair, net sans détour... Ce type décidément ressemble bien à ses couteaux.
Café, on se raconte un peu la vie, on sait que le temps nous est compté, pas trop le temps d'aller dans les fioritures, juste le nécessaire, peut-etre même l'essentiel. Ni plus ni moins.
Premier contact avec la forge, les outils... L'enclume... les sons... L'odeur... Les couleurs... Les mouvements.
Apprendre, les infos fusent, ça arrive de partout, pas grave, tu sélectionneras apres Anke me dis-je, la mémoire fera son travail. Apprends, il n'y a pas que la main qui frappe, il y a l'épaule qui "tient" la pièce, le corps qui se présente devant l'acier.
Le marteau tombe, Bon Dieu... c'est tout son être entier qui a frappé.
Et puis encore la voix: " c'est bon, au feu ! "... le sel... La "part du feu".
Doucement la lame sort... Il n'y avait pas de projet bien défini... Plate semelle, oui... Gil fini la partie du manche et rattape les défauts, je regarde, essaye de comprendre les angles d'attaque, comment travaille le métal sous les coups, saisir la méthode.
Lame finie, quelques défauts, rien de bien important au fond. Vermiculite... à refroidir. Direction l'atelier, des trésors encore... "Tiens prends ça", et me voilà avec un morceau d'if, du frène, de l'acajou, de la loupe de thuya( je crois !), obligé de l'arrêter...
Je repars... l'acier a refroidi... il voulait le garder pour retoucher les défauts... Non Gil. Elle est bien comme ça.
Ce matin elle est encore brulante dans mon esprit... Je vais laisser le temps passer un peu avant d'y retourner... Faire le point... Réfléchir. "
Depuis deux ans bientôt que j'y suis, au gré du temps que je peux y accorder, avec plus ou moins de bonheur, de réussite, c'est à chaque fois le même bonheur.
Loin du fracas des hommes, je me retrouve. J'ai maintenant mon coin, ma cabane. Chacun sait à la maison que cet espace est "privé", personne n'y vient sans moi, c'est curieux d'ailleurs, car ce n'est pas un espace interdit !
Ce retour sur soi m'est complêtement personnel, et ça n'en fait surement pas une règle, mais je pense que l'on peut associer ça à la démarche de la réalisation d'un feu par méthode de friction.
Puisez dans ses ressources, retrouver des sensations profondes, oubliées... et rester quelques instants à regarder ce feu que l'on a fait avec rien, ou cette lame que l'on a fait avec si peu.
Ces joies sont simples, on est bien loin des contingences superficielles de nos quotidiens, de nos vies ( serions nous alors en sur-vie ?). Alors malgré les mals aux bras ou aux mains, on a tracé un cercle dont on est le centre. Dans ce cercle là, il n'y a pas de place pour l'argent, l'envie, la haine ou l'amertume ...
Alors, oui, forgez !