La première histoire
Départ d'un ancien "chez moi" à 25 km d'une grande ville, direction le boulot en banlieue. Il fait jour et il fait beau. Un chantier cause un embouteillage monstre, et Waze me détourne, avec pas mal d'autres, sur une jolie petite route rurale où on se croise à peine. Je stoppe derrière une 607 à l'arrêt, et devant lui je vois, dans une épingle, une voiture avec un logo d'entreprise qui vient de se mettre dans le fossé. Un type en costard en descend. Pas de bobo mais la route est bloquée par l'accident, rapidement une vingtaine de bagnoles viennent boucher derrière nous, une dépanneuse aurait un mal de chien à remonter jusque là. Les gens viennent s'empiler dans l'embouteillage puis restent tranquillement assis dans leur voiture. On est trois. Mr Accident, Mr 607, et moi. Je propose qu'on tracte la bagnole hors du trou et que la vie continue. J'ai droit à deux regards vides...
Je sors de mon coffre une sangle de remorquage, mais ma voiture est mal placée pour tracter. Il faudrait relier Accident à 607. 607 me dit que sa bagnole n'est pas une dépanneuse. Je lui dis qu'il peut aussi perdre les deux prochaines heures dans ce virage s'il préfère. Il peste. J'installe les anneaux sur les deux voitures parce que les mecs ne voient pas de quoi je parle. Je sens les crispations quand je fais sauter les caches pour visser les anneaux. Je relie les voitures avec ma sangle. Pendant ce temps les gens, restés au volant dans la file derrière, commencent un concert de klaxons impatients.
Je ressors du fossé et admire mon œuvre. Pendant ce temps une voiture arrive plein gaz de l'autre côté, pile brutalement et manque m'écraser. Peut-être que c'est la beauté de la femme qui conduit, mais je m'énerve même pas. Je fais signe pour montrer que je veux parler, je voudrais lui demander de prévenir les gens qu'elle croisera en repartant dans l'autre sens, qu'on évite d'empirer le bordel. J'y arrive à peine. Elle ne marque aucune pause, fait un demi-tour rapide, et quand elle entrouvre la vitre c'est juste pour me gueuler dessus : "vous faites chier à rouler n'importe comment et après vous vous étonnez d'avoir des accidents". J'ai même pas le temps de parler. Elle est repartie.
Bref. La manœuvre va demander pas mal de place. Je me suis arrêté assez loin de 607 mais il faut que je recule encore plus pour lui laisser plein de marge. Je vais demander à la mamie souriante derrière si elle peut reculer pour que moi je recule. Mais elle-même est serrée au pare-choc par d'autres gens derrière. Je me retrouve à jouer la scène de Bidochon qui demande à tout le monde de reculer au péage. Je fais reculer 3 ou 4 voitures, dont un mec au téléphone qui ne baisse pas sa vitre quand j'essaye de parler, regarde tout droit malgré mes toc-toc sur la vitre, mais obtempère avec l'air agacé quand je braille ma demande malgré tout à travers leurs fenêtres fermées.
Finalement c'est prêt. Mr 607 recule, tracte Mr Accident hors de son trou, tout rentre dans l'ordre, je récupère ma sangle, fin de l'histoire avec un goût de désolation.
La deuxième histoire
Fin de soirée, il fait déjà bien nuit et il pleuviote. Département ultra rural. J'ai ma fille de 2 ans sur le siège arrière. Au carrefour où je veux quitter une grande départementale bien roulante en ligne droite pour aborder les 15 km de lacets qui vont nous ramener à la maison, il y a une voiture dans le fossé, warnings allumés, dans une position dangereuse qui mord encore un petit peu sur la route qui roule vite, mais aussi qui menace de basculer complètement et se coucher. J'allume mes warnings et me gare à l'abri sur un large bas-côté herbeux en face, j'enfile mon gilet et descends voir ce qui se passe.
Dans l'obscurité, une jeune femme descend de la voiture accidentée. Elle a la voix qui tremble, elle dit qu'il faudrait pousser... Je la calme un peu, on vérifie d'abord que tout va bien. Il y a quatre enfants dans la voiture. Aucun bobo. On fait descendre les enfants et on les met à l'abri à côté de ma voiture. J'ouvre mon coffre à matos et... merdos, y'a pas ma sangle. Des phares s'annoncent sur la route qui roule vite. J'y retourne et fais signe pour demander de s'arrêter. La voiture s'arrête et les gens allument le plafonnier pour que je puisse les voir. Je connais la passagère, c'est la médecin du bled suivant. Je demande s'ils ont une sangle. La conductrice se gare à côté de moi et trouve une sangle parfaite. Sa voiture, un break diesel, est aussi plus lourde et plus coupleuse que la mienne, je lui demande si on peut l'utiliser pour tracter. Aucun problème, elle se positionne sur la grande route devant la voiture accidentée.
Pendant ce temps la médecin enfile son gilet et dit qu'elle va s'occuper de la circulation. Je demande aux enfants de vérifier que ma fille ne pleure pas. Ils s'en font un plaisir. On installe anneaux et sangle. Je dis à la conductrice du break qu'elle peut y aller, mais elle aime autant que je le fasse moi-même. La médecin fait arrêter une voiture qui arrive en face. Avec 4 voitures en warnings on est bien visibles maintenant. Je prends le volant du break et avance un peu juste pour tendre la sangle. Puis je redescends avec l'idée d'expliquer à la jeune femme quel rôle elle peut jouer à son volant pour aider, tout en sachant qu'elle est pas du tout dans son assiette. Mais quand je descends je vois sa bagnole déjà avec les roues braquées nickel, moteur allumé, et au volant un mec que j'avais pas vu arriver. Il s'est lui aussi spontanément arrêté et a tout de suite trouvé l'endroit le plus efficace pour donner son aide. On s'entend pour commencer, quand arrive... un gros camion avec gyrophares oranges. Je rigole. Les routiers proposent de tracter, je leur dis qu'on vient de tout attacher, on va essayer comme ça, et si ça échoue on tirera avec le camion.
Je reprends le volant du break, je tire, l'autre mec tortille pour que ça sorte, c'est réglé. La médecin retire la sangle. On vérifie sous la caisse qu'il n'y a aucun dommage, on se serre tous la main, on s'assure que la jeune femme est en état de conduire, je remercie les enfants, tout le monde remonte, et on rentre à la maison. Fin de l'histoire avec un grand sourire où tout le monde aurait pu tranquillement continuer sa route, mais où tout le monde a tout de suite fait exactement ce qu'il fallait, dans la bonne humeur.