Tompouss et Dutch, j'aurais craché mon café de rire devant vos histoires ! C'est l'esprit, merci ! Raphaël ça c'était une bande annonce pour ton court-métrage, j'espère.
Cette histoire est un peu plus longue. Elle est pas trop compressible en fait.
C'était début 2008. Depuis, le CEETS a progressé de tellements de pas de géant, que je pense qu'il y a prescription et que plus personne ne rougit de ses erreurs de jeunesse.
A l'époque la grille d'analyse sécu était inexistante. Les stages étaient exotiques. Là il faisait -11°C en journée, et les déplacements de la journée nous avaient vu progresser dans une gorge étroite de quelques mètres, le long d'un torrent à moitié gelé, entre des parois blanchies par la neige. La pause du midi, c'était dans une grotte. En fin d'aprèm on débouchait sur des prairies et des bois entourés de barres rocheuses, pas vraiment accessibles en véhicule, sans couverture téléphonique... La neige épaisse continuait toujours à tomber. On entassait les sacs de tout le monde sous des couvertures de survie, et le temps d'un module y'avait 5 cm dessus.
Le soir un mec a voulu faire un abri vraiment à l'arrache avec une couverture de survie fine. Je lui ai dit que son truc ça tiendrait pas, ni au vent, ni au premier paquet de neige qui tomberait d'un arbre. Il m'a dit "je te crois, mais j'ai besoin de le voir pour moi-même". Le type avait vécu plusieurs années dans les catacombes et était un débrouillard rusé. Ce que je savais pas à ce moment, aussi, c'était que son sac de couchage était un confort +14°C (trente degrés d'écart avec les températures nocturnes, et ouais à l'époque le matos n'était pas contrôlé).
Me suis pieuté vers 22 heures dans un bon duvet bien chaud. La neige tombait en paquet sur ma bâche, et en en glissant elle construisait toute seule des murets de part et d'autre. J'ai vite sombré dans un bon sommeil.
A minuit quelqu'un est venu me réveiller. C'était monsieur catacombe. Il tremblait tellement qu'il n'arrivait plus à parler. En fait il avait redescendu plusieurs échelons du règne animal, et j'avais devant moi un chien paniqué. Je l'ai touché : il portait un sweat en coton aussi mouillé qu'au sortir d'un bain. Il faisait -17°C. Il arrivait juste à me dire qu'il avait dégueulé plusieurs fois. Y'avait urgence. J'allais lui laisser mon duvet, j'étais déjà en train d'en sortir et de commencer à m'habiller. Mais d'abord fallait qu'il se désappe, sinon il allait tremper le duvet et ce serait encore plus la m*rde. J'essayais de lui dire, mais il a compris "duvet" et à partir de là il essayait juste de toutes ses forces de s'y réfugier. On a lutté, je l'ai déshabillé en luttant. C'est la seule fois que je me suis physiquement fighté avec un stagiaire.
Une fois que je l'ai dépoilé je l'ai laissé libre. Il a disparu dans mon duvet. J'ai juste voulu lui dire "garde ta bouche devant le trou pour pas mouiller avec ta respiration", mais j'ai pas eu le temps : il a disparu comme un escargot, en boule dans la zone des pieds. Y'avait plus rien à voir.
A partir de là je suis allé réveiller David pour qu'on s'organise à deux. Lui a essayé de parler au mec, sans succès. Rien qui parle, rien qui bouge, mais ça respire. Moi pendant ce temps j'ai bûcheronné en vitesse et allumé un grand feu. Le feu nous chauffait nous, et chauffait de l'eau pour faire un roulement de bouillottes dans le sac avec le mec. On se sentait bien malins. Pas de réseau, pas d'accès, pas d'information concrète sur l'état du mec. On a fait toute la nuit comme ça : bûcheronner, aller et venir entre le feu et le patient, rester face à un mur de silence avec le mec, mais constater qu'il était au chaud. Nous on se passait à tour de rôle de le Def 4 de David pour s'enrouler un moment dedans. Pendant la nuit un autre mec s'est levé, transi de froid, mouillé (mais pas trempé comme l'autre). Il est venu près du feu qui chauffait comme un petit soleil. J'ai bûcheronné encore et encore.
Les humains en ont bien bavé cette nuit là. Une de ces nuits où on sent bien que la vie se mérite.
Aux premières lueurs de l'aube, quand tout devient gris et que des formes incertaines de dessinent sur la neige, là, j'ai vu... une petite souris. Une toute petite souris qui courait silencieusement sur la poudreuse, tantôt dessus, tantôt elle plongeait dans un trou, puis ressortait en mastiquant quelque graine qu'elle aurait trouvé au fond. Je l'ai admirée quelques minutes. Elle s'en foutait. Elle avait l'air bien. Grosse leçon d'humilité de la part de ce petit animal.
Histoire que ça reste une "histoire courte" sans épilogue forumistique, quelques changements standardisés après cette journée :
- choix de terrains avec une bonne couverture téléphonique et accessibles avec un véhicule tout-terrain
- quand possible et nécessaire, un véhicule tout-terrain est disponible et garé pas trop loin
- contrôle du matériel des stagiaires
- les stagiaires peuvent faire des expériences s'ils veulent, mais ils ont un abri de secours déjà monté, avec du bon matériel brutalement efficace
- rondes nocturnes sur les nuits difficiles
- feu pré allumé et entretenu sur les nuits difficile
- redondances sur le matos de sécu, par exemple un moniteur a deux sacs de couchage sur les nuits difficiles