Salut à tous,
Je ne pensais pas faire un post sur cette expérience. Puis quand j’en ai eu l’idée, j’ai hésité quelques jours. Au final, je pense que c’est une bonne matière de réflexion à offrir au forum.
Aussi car au travers de discussions avec certains amis, ils m’ont indirectement amené à me poser des questions auxquelles je ne trouve pas de réponse, et j’aimerai en trouver. Je veux aussi préciser au cas ou que l’histoire peut-être un peu choquante (en tout cas elle l’était pour moi) et contient quelques détails un peu sordides. Pour les sensibles, vous pouvez vous préserver et ne pas lire. Rien d'extrême, mais si cela m'a suffisamment secoué, je pense que ca peut en secouer d'autres.
Le contexte est le suivant. Au travers de différentes aventures, je me suis souvent trouvé baigné dans le milieu de l’orpaillage, en Amérique Latine principalement (un peu en Afrique aussi). L’idée m’est venu de joindre l’utile à l’agréable en montant mon petit projet. Utile dans le sens de gagner quelques sous pour pouvoir continuer la route (plutôt que me casser le dos dans les chantiers de construction pour moins de 10 dollars par jours), agréable car pendant ce temps, je vis en forêt et vie –dans les limites du raisonnable- du terrain. Ca a un côté pionnier à l’ancienne qui me plait, vivre en nomade le long de la rivière, flotter son matos en amont au gré des explorations, campement mobile. Le travail extrêmement physique que j’aime également. Ne me demandez pas pourquoi je m’exalte dans l’effort et la boue.
Nous choisissons donc une petite rivière pour son isolement relatif, la tranquillité du point de vu sécu, et la possibilité de s’approvisionner au petit village à quelques kilomètres de là. Au bout de plusieurs semaines de galère (je ne rentrerai pas dans les détails trop perso), la relation entre ma compagne et moi se dégrade. Elle décide de plier bagage. Je décide de rester seul en forêt et ne pas me décourager, ne pas abandonner. Rapidement, mon état mental se dégrade, tout est dark dans ma tête, je sombre. Ca ne m’était jamais arrivé avant. Pour ne pas me laisser aller, je m’impose une discipline spartiate et essai de m’y tenir. Mais je lutte, très mal, contre le désespoir.
Un soir, au bout d’environ deux semaines de solitude alors que je somnole dans mon lit de camp, j’entends deux « roquettes » passer au-dessus de mon campement. Je ne comprends pas trop si j’ai rêvé dans mon sommeil agité, puis ensuite une rafale de balle me convînt que non, ce n’est pas un rêve, il se passe quelque chose. La rafale de balle m’a bêtement fait sauter de mon lit pour me cacher en dessous… En contre bas, dans la rivière, des lumières extrêmement puissantes. Je rampe dans la jungle pour observer un groupe de mec en treillis, pas super officiel quoi que je ne sois pas bien sûr. Ils observent les traces de pas sur la petite plage mais ne voient pas mon campement. Ils continuent vers l’amont, passant donc par ma zone d’exploration. Je descends sur la plage en faisant attention de ne pas laisser d’empreintes. Ils s’arrêtent à proximité de mon matos, commence à essayer de le dézinguer, puis cherche frénétiquement autour le campement du propriétaire. Je réfléchis deux secondes (je fais ça, parfois) et convient que les mecs sont louches et je leur laisse volontiers le matos si ils le veulent. Finalement ils laissent le barda tranquille et continuent en plus en amont encore. Je retourne dans mon lit pour attendre la suite des événements.
30 minutes après éclate une grosse fusillade d’armes automatiques. Tellement gros que du coup je me dis « ah, c’est rien, manœuvre militaire d’un groupement commando probablement ». Ils redescendent 1h30 après la fusillade, pressé, stressé. Je reste caché dans les fourrés. Les mecs ne font pas un bruit, parlent en signes, mais ont des torches aussi discrètes que des phares de camion. Vraiment louches. Ils partent, je m’endors, lendemain matin tout est oublié. Je me rends au village pour faire quelques courses et passer un coup de fil à un ami pour changer de rivière car je tourne en rond niveau exploration, qu’ils viennent me chercher avec son 4x4. On convient d’un RDV le lendemain à 11h. Je rentre au campement, me prépare à déménager, puis me couche tôt.
Je me réveil à 2h du matin, sans aucune raison. Un sommeil agité, mauvaise santé mentale. Juste le temps de reprendre mes esprits, je m’aperçois que les lumières sont là, les mêmes que la veille. J’ai tout juste le temps d’attraper mon petit sac à dos d’urgence avec lequel je dors (à défaut de ma compagne, donc

) dans lequel j’ai mes objets de valeurs et de quoi crapahuter 2-3 jours en jungle. J’ai tout juste le temps de me jeter dans les fourrées juste derrière mon lit et m’enterrer dans une planque que l’on avait fait à notre arrivée sur ce campement. Quand je jette un coup d’œil, je vois 3 silhouettes dans ma cuisine, lumières éteintes. M’ont-ils vu ?
L’un d’entre eux s’avance sur la pointe des pieds, M16 épaulé et soulève ma moustiquaire avec le bout de son canon. Il s’arrête net quand il voit le lit vide. Mon cœur bat à la chamade, je crois qu’ils vont l’entendre cogner contre le sol. Ils vont forcément me chercher. Je n’ose bouger d’un poil, même pas pour mieux me cacher, de peur de froisser les feuilles. Ils allument les lumières et éclairent la grande clairière qui se trouvent à proximité du campement, imaginant que j’ai dû cavaler comme un lapin. Ils balaient 5 minutes éternelles, ne me voient pas, s’en vont. C’est un piège, c’est sûr que c’est un piège. Ou pas ? Parano ?
Je reste tapis dans les feuilles sans bouger d’un poil jusqu’à 4h du mat, en fait je ne peux pas bouger, je suis paralysé, transis de peur. 4h du mat, je me risque a bouger. Je commence à plier le camps. 11 heures j’arrive au lieu de rendez-vous. Je n’en mène pas large et décide de demander à mon ami de me sortir de là. Il arrive peu de temps après, avec sa femme, les deux complètement paniqués. La télé locale parle d’un « nettoyage » dans la rivière dans laquelle j’étais, par un groupe paramilitaire. 4 personnes ont été retrouvées criblées de balles, découpées à la machette dans des sacs poubelles. La fusillade que j’avais entendu la veille, qui a pris place à l’endroit même ou, si ma compagne n’était pas partie, nous aurions fait notre prochain campement. Glauque.
Mon pote me sort de là et m’héberge quelques jours le temps que je refasse la peinture de sa baraque et retrouve mes esprits. J’enchaine les nuits blanches, contacte ma famille. Je rentre auprès des miens, je ne me sens le coeur à rien d'autre.
Suite à cette expérience plusieurs choses me sont venues à l’esprit. Déjà je resterai humble et à l’écoute des gens au fond du gouffre. On ne sait pas tant qu’on ne l’a pas visité, ce lieu de m*rde. Ensuite, mon incapacité totale à protéger ma bien-aimée. Qu’aurais-je pu faire, franchement ? Demander pitié… ?
Ensuite, je n’arrive pas à discerner si j’ai eu à faire à :
1. Un événement isolé, extrême et imprévisible, face auquel je ne peux pas grand-chose. Nous avions choisi cette rivière pour sa tranquillité. Le week-end les familles du village voisin venaient laver leur linge et faire la conversation avec nous, aucun événement tragique n’avait été enregistré dans cette rivière, ni même cette zone, de mémoire d’homme.
2. J’ai payé mon manque de vigilance. Avoir trop trainé dans les endroits louches Amérique, fréquenté des mecs armés jusqu’aux dents, je me suis « ajusté » à l’ambiance guérillas de certains endroits, mal habitué, ou déshabitué. Je m’en suis aperçu une fois lors d’une balade en ville alors qu’on marchait tranquillement avec ma compagne, deux motos arrivent à balle les passagers arrières sautent en route et braquent une voiture. Elle continuait à marcher tranquillement sans stopper sa conversation, limite à passer dans le tas en disant poliment « pardon » si je ne l’avais pas gentiment tiré par la manche pour nous mettre mine de rien à couvert derrières quelques bagnoles. Ca m’avait fait tiquer sur notre totale manque de « réalisme » et avais recommencé à doubler d’attention. Avec une blonde au bras dans ces coins la, je suis 100% du temps sur mes gardes et gueule de « don’t fuck with me hermano » , moi qui suis de nature avenante et pas physiquement intimidant, c’est nerveusement épuisant. Du coup, j’aurais peut-être du décamper après la première visite, si j’étais plus vigilant ?
Content d'être ici.
A vos remarques, les amis, il y’a matière je crois.