Contexte :
Normandie, route de campagne, nuit d’hiver, 3h du matin, température -5°C, verglas.
Protagonistes :
Ma copine (N.) et moi, trentenaires un peu débrouillards, puis 2 jeunes femmes autour de la vingtaine.
Matériel :
Couverture de survie, lampe torche, trousse de secours (mon EDC) , puis dans la voiture des filles plein de fringues.
Déroulement :
Sur la route :Rentrant d’une soirée non alcoolisée mais tardive, ma compagne au volant de sa voiture et moi en passager, je lui fait prendre un itinéraire plus rapide et moins sinueux plutôt que la petite route pleine de traversées de villages qu’elle voulait prendre.
Je m’entends encore lui dire « Même si ça glisse, au moins ça sera droit, donc pas de problème ».
Bein voyons…
La route monte d’abord en serpentant dans une forêt, puis arrive à découvert au milieu des champs, où elle devient droite.
Le passage qui aurait pu être plus délicat dans les virages de la montée n’étant pas gelé, cela nous a surement donné un faux sentiment de sécurité, d’où manque de vigilance (trois secondes ?) en arrivant à découvert, d’autant que ma route « droite » est irrégulière et bombée.
En sortant du couvert des derniers arbres à environ 70 Km/h nous croisons une camionnette, puis en arrivant dans la partie dégagée je vois ma chérie bouger légèrement le volant de droite et de gauche.
A cette seconde je pense qu’elle teste un peu l’adhérence ; mais la seconde suivante les oscillations du volant et de la voiture s’amplifient et elle me dit: « Eh, je ne sens plus rien là, j’ai plus rien ! ».
Avant d’avoir eu le temps de penser, la voiture fait un tête-à-queue en traversant l’autre voie et nous basculons assez doucement dans le bas-côté. Aucun airbag ne se déclenche, aucune vitre ne se brise.
Nous sommes couchés sur le côté passager.
Dans le fossé :Rapidement nous nous assurons mutuellement que nous allons bien, elle coupe le contact mais en laissant les phares puis nous décidons de sortir par le « haut », donc la portière de ma conductrice. Elle essaie d’ouvrir sa porte mais n’y arrive pas.
(En fait elle a du mettre la main seulement sur la poignée sans que nous pensions au poids de la portière ; mais aurait-ce été moins dangereux de la soulever, avec le risque de se la faire retomber sur la tête, les mains, les jambes ?...)
Donc changement de plan, nous sortons par sa fenêtre. Heureusement la vitre électrique descend.
La tension sur la ceinture de ma douce la ralentit un instant pour se dégager, mais elle s’en sort vite fait, se dresse sans me marcher sur la tronche.
Là nous nous disons qu’il serait prudent passer d’abord rapidement la tête à l’extérieur pour vérifier qu’aucun autre véhicule n’est en train d’arriver plein balle et donc de risquer de sortir comme nous, avec le risque de nous percuter au moment où nous sortons par la vitre.
Elle vérifie donc, RAS, elle sort puis c’est mon tour ; nous nous retrouvons donc dans le champ, il fait nuit et froid.
Dans les champs :Je sais à ce moment que le chrono de l’hypothermie commence à tourner ; mention spéciale pour madame, qui est victime de la maladie de Raynaud. Je mets mes gants et mon bonnet (toujours dans mes poches de manteau).
Nous nous éloignons un peu de la voiture, je sors ma lampe torche et découvre qu’à 50 m devant nous, une voiture est déjà plantée là, ayant fait un « tout droit » dans le champ en passant pas loin du gros pylône électrique. Je m’approche pour regarder : personne dans la voiture, moteur et phares éteints, vitres levées et embuées, elle semble être là depuis un moment.
Après ces premières minutes dehors ma compagne a déjà bien froid.
Pendant qu’elle appelle la police, je lui mets son T-shirt supplémentaire en guise de bandana, ce qui couvre bien la tête et la nuque et rentre dans le col à l’arrière, supplément de chaleur garanti à ce niveau là. J’y ajoute mes gants (je m’en passerai mieux qu’elle) et sort la couverture de survie; mais il faudra que j’insiste pour qu’elle s’accroupisse à l’abri de la voiture enveloppée dedans.
En ligne avec la police puis son assistance-assurance, je comprends qu’elle soit énervée et concentrée sur le téléphone ; et la couverture fait du bruit, mais bon…
Au téléphone : Vu que nous ne gênons pas la circulation et que nous ne sommes pas blessés, les services de Police ne font rien, nous disent de ne pas appeler non plus les pompiers et nous renvoient vers l’assurance.
Le service d’assistance (n° spécial urgences) met trois plombes à répondre, en commençant par des conneries, puis finalement nous dit qu’ils envoient un dépanneur qui sera là dans « environ 45 min – 1h ».
Quand ma douce demande quid de notre propre rapatriement vers la civilisation, ils répondent qu’APRES l’arrivée du dépanneur il nous faudra les rappeler pour qu’ils cherchent alors un taxi à nous envoyer.
En pleine cambrousse normande.
A 3h du mat.
Mais bien sûr ! Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d’alu…
Arrivée de la 2ème voiture :Tandis que N. téléphone, elle me désigne une 206 qui se plante également, comme nous couchée dans le bas-côté, quelques dizaines de mètres avant nous, de l’autre côté de la route.
Je vais voir et trouve là bas deux jeunes nanas déjà sorties de la caisse, errant dans le champ, l’air déboussolé, trop peu couvertes.
Je comprends qu’elles sont plus paniquées par la réaction supposée de leur mère (elles ont pris la voiture, pas assurée, contre son avis) que par la situation immédiate. L’une n’arrêtera pas de me dire « Je voudrais pleurer, mais je n’y arrive pas ! » et l’autre « put**n, ma mère va me tuer… ».
Elles finissent quand même par me signaler qu’une des deux est légèrement coupée à la main (la vitre sur laquelle est couchée leur voiture s’est cassée) ; ce dont je m’occupe avec quelques compresses, dosettes de désinfectant et pansements, tout en la rassurant comme je peux.
N. qui nous rejoint peut donc enfin appeler les pompiers pour dire que maintenant il y a des blessés !
Je sais que ce ne sont que trois égratignures de rien du tout, mais déjà il pourrait y avoir un truc plus grave qui m’échappe complètement, et surtout cet argument sera la clé pour faire intervenir pompiers et police dans cette situation qui semble ne faire qu’empirer.
Avec les filles :N. me demande également de faire signe avec la lampe à toutes les voitures qui arrivent, le plus tôt et le plus loin possible, pour qu’elles ralentissent et ne fassent pas comme nous.
Elle m’aide aussi à prendre soin des filles, notamment en les faisant se couvrir ; d’autant qu’elles ont une montagne de bordel dans leur voiture. A leur demande j’y récupère donc des fringues, leurs papiers, une liasse de billets dans la boite à gants ( !), et une couverture en laine.
Nous insistons plusieurs fois pour qu’elles se couvrent la tête et s’assoient avec les couvertures.
L’une commence à enfiler un deuxième pantalon par-dessus son premier, puis interrompt son geste en disant à sa copine « Non, je peux pas mettre celui-là, ça ne va pas avec » ; et là je sens que N. commence à s’agacer sérieusement.
Je recadre un peu la miss Normandie en lui récapitulant la situation (elle vient d’avoir un accident de voiture, on est seuls, il fait nuit, on est en hiver, il fait froid, donc on se fout du look : elle DOIT se couvrir !).
Mais finalement je me dis que s’occuper des deux nanas nous a peut-être permis de ne pas ressasser l’accident, de nous occuper en pensant à autrui.
Arrivée des secours :Très rapides, les pompiers sont arrivés 10 minutes après l’appel.
Je clarifie la situation avec l’un d’eux : les trois voitures, les quatre personnes, les soins prodigués ; à la suite de quoi il nous fait monter N. et moi dans leur camion.
Bien au chaud, N. subit un de ses désagréables et inévitables moments où le sang chaud revient envahir ses doigts et ses orteils ; j’ai mal pour elle, je ne peux rien y faire et surtout nous sommes maintenant hors de danger.
La Police et le dépanneur enchainent.
Un flic sympa nous explique que malheureusement lui non plus ne peut pas nous ramener maintenant en ville ; seulement une fois la situation ici terminée (logique, nous comprenons). C’est finalement le dépanneur qui se propose de nous déposer là où nos amis viennent nous récupérer et nous héberger pour la fin de cette nuit particulière.
Pensées et émotions du lendemain :Ce n’est qu’au réveil que toutes les variantes possibles du scenario viendront me faire flipper : et si on avait croisé la camionnette 15 secondes plus tard, et si on s’était mangé le pylône, ou la première voiture, et si les filles nous avaient percutés en dérapant, et si l’un de nous avait les jambes brisées, et si on s’était évanouis, et si on était morts tous les deux…
Et si je n’avais pas été sensibilisé au secourisme, à la survie, et si je n’avais pas eu un EDC correct ?
Alors en plus de ma bonne étoile, je remercie ceux qui, comme David, consacrent leur vie à en prolonger.