Je me permet d'apporter ma pièce.
Au delà du débat, très légitime mais impossible à régler ici, du curseur à ajuster entre liberté et sécurité, quelques outils peuvent je crois être posés afin de mieux appréhender la situation (et après chacun choisira en fonction de sa sensibilité).
J'ai lu plus haut que regarder toujours l'Etat avec un oeil suspicieux était faire preuve d'un biais. C'est en partie juste, on part d'un présupposé, mais d'un pré-supposé plutôt fondé. L'Etat dans un système socio-politique tel que le notre est fortement doté de pouvoir(s) et trouve des ramifications dans à peu prêt toutes les dimensions de nos vies, souvent de façon inter-connectée. Il s'agit pas de savoir si il est bon ou mauvais, il s'agit juste d'évaluer un rapport de force dans lequel on est fondamentalement vulnérable.
A partir de là :
1) Comme l'a très justement dit Kilbith, une loi faisant face à une situation d'exception mais programmée pour durer sur le temps long doit nécessairement susciter de la vigilance, quelle que soit la nature de la loi, même faite avec les meilleurs intentions du monde.
2) Par un simple constat de l'histoire de l'humanité passée, et étant dans l'incapacité irréductible de prédire l'avenir à disons, plus de quinze ou vingt ans, la mise en place d'un régime policier de surveillance de masse, en dépit du fait qu'il soit fait pour les meilleures raisons du monde et piloté par des gens à priori aimables, doit susciter de la vigilance.
3) Aujourd'hui, socialement comme professionnellement, il est très compliqué, voir impossible de se passer d'internet. L'accès et l'usage du net est donc un bien commun de base et de nécessité qui comme l'eau, la justice, ou l'accès à l'éducation devrait être sanctuarisé. Partant de ça toute tentative de contrôle dessus devrait susciter de la vigilance.
Vu que le temps peut manquer pour se renseigner et éclaircir cette vigilance on peut aller faire un tour du côté
la quadrature du net qui fait un boulot monstre à ce niveau et qui je crois n'a pas été mentionnée dans ce topic. Ce n'est qu'une source parmi d'autres évidemment, maintenant cette orga fait réellement un travail sérieux, avec un gros travail de fond, aussi neutre et indépendant qu'il est possible d'être, extrêmement transparente (publication des comptes et de la gestion précise des dons, fait rare dans le milieu) et uniquement focalisé sur une seule question : le net. La perfection n'existe pas en ce bas monde mais c'est clairement le genre de structure qui peut donner confiance.
Je pense que c'est vraiment le constat de base nécessaire pour se positionner vis à vis de cette question et savoir où on souhaite positionner le curseur liberté/sécurité.
Maintenant au delà des questions techniques/théorique/philosophiques/drosophyliques quelques cas pratiques qui peuvent nous amener à voir ce qu'on est prêt à sacrifier pour, en théorie, plus de sécurité, parce que c'est compliqué de se projeter et qu'on voit souvent sortir l'argument assez simple du
"si on a rien à se reprocher y a pas à être inquiet!". Le gros point qui inquiète dans cette loi, au delà de la prérogative très importante de l'exécutif dans la conduite de la procédure, c'est le caractère extensif des motifs qui permettrait d'enclencher la surveillance.
L'article 811-3 de la loi dit sur ces motifs :
"[Ces motifs] concernent en particulier la sécurité nationale, les intérêts essentiels de la politique étrangère, les intérêts économiques ou scientifiques essentiels, la prévention du terrorisme, la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous, la prévention de la criminalité organisée et la prévention des violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique." Du terrorisme classique aux intérêts économiques et scientifiques de la France (et additionné à la loi Macron sur la violation du secret industriel) en passant par les "violences collectives" (quid de ce qu'est une violence collective?). C'est vaste quand même.
A la fin des années 90, Greenpeace france a démontré à l'aide de test effectués à partir d'échantillons prélevés directement aux abords de la centrale de retraitement de la Hague que cette dernière rejetait des déchets radioactifs et avait des conséquences néfastes pour l'environnement et la santé des riverains. En s'intéressant à une centrale nucléaire, les militants auraient pu être mis sur écoute en raison du principe d'atteinte hypothétique à la sécurité, en tout cas aux intérêts économiques et scientifiques du pays.
Les chercheurs
Annie Thébaud-Mony et
Henri Pézerat, qui sont pourtant pas des dangereux gauchistes, ont du batailler durant des années, notamment pour des raisons d'intérêts économique, pour faire reconnaître le danger de l'amiante.
Même chose pour la toubib qui a mis en lumière les risques du médiator qui aurait pu être muselée encore davantage par l'appareil législatif qui s'apprête à passer.
Elle l'explique très bien ici Au final le constat est un peu le suivant: dans un rapport de force qui nous est clairement défavorable, l'espace libre d'internet offre un moyen de rééquilibrer la balance en permettant à la société civile de s'organiser de façon autonome. Certes comme dans tout il y a du mauvais, mais le danger de compromettre ce qu'il y a de bon en étant focalisé sur une petite tâche sombre pose quand même question.
Traduit en langage SP, hyppothéquer internet, c'est comme se priver d'un equalizer quelconque face à un golgoth de 2m et c'est avant toute chose avoir refusé d'être vigilent vis à vis d'une situation antérieure qui était déjà potentiellement puante et glissante.
Les situations concrète que j'ai évoqué montrent aussi qu'on est directement en prise avec des questions de survie, pas seulement de la philosophie politique et des questions de liberté. Quand l'environnement dans lequel on est peut potentiellement nous bouffer la santé, filer un cancer à nos proches, ou des malformations à nos gamins, et que la question n'est pas sincèrement traitée et l'information donnée pour des raisons "économiques, stratégiques, et scientifiques", je crois qu'on est en plein dans le prolongement de la vie. Ne pas oublier que l'environnement direct de l'homme depuis au moins 10 mille ans est la société et son organisation politique, et que dans ce cadre, les dispositifs plus ou moins visibles, les règles, les lois, les technosciences, à travers toutes les multiples ramifications dont je parlais plus haut, sont les premiers éléments qui impactent nos vies. Pragmatiquement, on ne peut juste pas (ou plus) les ignorer.
Sans jouer trop de la théorie gramscienne, le bruit des bottes est je crois aujourd'hui moins dangereux que le silence des pantoufles. Donc vis à vis de cette loi (et des autres), faisons chacun chacun nos choix, mais restons alertes, code orange quoi qu'il arrive !!