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Auteur Sujet: Terrorisme et risques encourus par les personnels de secours.  (Lu 3146 fois)

09 janvier 2015 à 22:31:27
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fry


Pour les intéressés et pour être dans le fil de l'actualité et des discussions, voici le retour d'une publication anglo-norvégienne de 2014 dans Critical Care se proposant de faire une revue de la littérature en anglais concernant les risques encourus par les secours toutes catégories confondues lors d'un attentat, à partir de l'expérience tirée de 307 articles d’intérêt, traitant à la fois de terrorisme et de services de secours.

Je vous en fait ici un résumé, en modifiant certaines parties inutiles car ne correspondant pas à la réalité de l'organisation française ( je les remplace par l'organisation effective dans notre pays ), et en ajoutant quelques détails dans d'autres.

Je rajoute aussi quelques éléments concernant nos forces de l'ordre puisque c'est dans l'actualité.





Menaces directes des services de secours

- Les engins explosifs secondaires:

Destinés à exploser avec un certain délai de manière à toucher un maximum de personnels de secours affluant une fois l'attentat effectué. Le but est double: empêcher de secourir les victimes, et amputer durablement les capacités de la réponse sanitaire à l'afflux de blessés en faisant des soignants de nouveaux blessés ou morts, ce qui démultiplie naturellement le bilan humain de l'attaque.

C'est cependant un mode opératoire relativement peu fréquent, utilisé pour la dernière fois de manière certaine durant l'attentat d'Atlanta en 1996, on soupçonne plusieurs autres attentats notamment ceux de Madrid avec des dispositifs retardés qui n'ont pas explosé, et ceux de Bali en 2002 où la seconde explosion était bien trop proche de la première pour atteindre de quelconque secours.

En pratique un déminage complet et systématique, qui peut prendre des heures, ne peut pas être envisagé à chaque fois en particulier en cas de blessés très graves où on parle de " golden hour " ( heure d'or ), et où la rapidité d'intervention des secours est le seul garant de la survie, à la minute près. Le déminage systématique n'entrera en compte que lors de la présence certaine d'explosifs ou d'une suspicion très forte par les renseignements en amont. En l'absence d'informations, la tendance sera au secours le plus rapide possible.

- Armes à feu:

Les assaillants étant presque toujours armés, les tirs avec arme à feu sont souvent un complément des attaques par explosifs, c'est dans le conflit israelo-palestinien que ce modus operandi est le plus fréquemment décrit et publié.
On note cependant de grands attentats typiques:

* A Beslan en Ossetie du Nord en 2005, les terroristes acceptent la venue de 2 paramedics sensés évacuer les corps d'otages exécutés, mais tirent et tuent les deux sauveteurs lorsqu'ils approchent.

* Les attentats de Bombay en 2008, l'enfer de tous les services d'ordre, avec des foyers d'attentats multiples incluant des armes automatiques, à haut nombre de victimes.

* Durant l'attentat d'Utoya en norvège en 2011, les premiers secours arrivés sur place avec la police n'étaient pas des secours tactiques ( pas de protection individuelle ) et se trouvaient directement menacés par le fusil d'assaut de Breivik. Même s'il n'y eu pas de blessés parmi les secours, cet incident fût l'une des piste de réflexion à l'apprentissage plus systématique du TCCC aux unités civiles ( soins tactique / sous le feu ) dans les pays anglo-saxons. Des études et débats sont toujours en cours aux états-unis pour modifier la doctrine de secours arrivant après la sécurisation des forces de l'ordre, et les remplacer parfois par des secours tactiques ( accompagnant les forces de l'ordre ) comme c'est le cas dans l'armée en théâtre de guerre, ou dans certaines unités ( notamment les groupes d'intervention français de métropole ).

- Armes chimiques:

* L'incident le plus typique est l'attentat de 1997 au gaz sarin dans le métro de Tokyo, 12 morts, près de 6000 blessés, et un total de 263 personnels de santé atteints soit pendant les soins sur place, soit par contamination secondaire via les vêtements contaminés des victimes secourues, l'agent chimique n'ayant pas été identifié à la phase initiale et les protections n'étant pas adéquates.

Depuis cet incident la refonte totale des protocoles NRBC a permis à la première suspicion d'instaurer un dispositif adapté avec tenues de protection, chaîne de décontamination, et PC disposé du côté opposé au vent.

En France concernant les forces de l'ordre, seules de rares unités sont capables d'intervenir en atmosphère chimique. C'est le cas du GIGN ( plan PIRATOX ) et des unités FIPN ( RAID, GIPN, BRI ) entraînés à évoluer en tenue NRBC si nécessaire.


- Attaque biologique ( bacterio / viro / toxinique ):


* Plutôt anecdotique, les plus dangereux sont aussi les plus difficiles et improbables à mettre en œuvre. La toxine botulique a fait l'objet de nombreuses recherche, et sa diffusion en aérosol permettrait théoriquement de rapidement saturer les lits de réanimation d'une zone en forçant les patients paralysés à être mis sous respirateurs ( 1 patient =  1 place de réanimation occupée des semaines... et ces places sont très chères et rares ). Cela demande une très haute technicité peu accessible au commun criminel... même les grands pays n'ont pas beaucoup avancé dans la préparation de telles armes. Il n'existe aucun antidote, seuls plusieurs mois de réanimation sous ventilation mécanique, avec d'importants risques de complication diverses inhérentes au fait d'être immobile et intubé sur un lit d'hôpital, permettront d'en sortir.

* La maladie du charbon ( "anthrax" ) est un risque réel, vu notamment en 2001 avec une série de morts causées par des enveloppes avec la fameuse " poudre blanche ", les symptômes sont différés ( 1 à 7 jours ), avec une mortalité de l'ordre de 50% dans les formes pulmonaires militarisées ( bioterrorisme ) et une prise en charge médicale avec antibiotique doit être débutées au plus vite, avant une mise en observation qui durera plusieurs jours.

* D'autres contaminations volontaires avec des pathogènes bien moindre ( salmonelles, etc... ) peuvent déclencher des symptômes de type toxi-infection alimentaire qui mettent surtout en danger les sujets fragiles.

- Risque radiologique
 
Une véritable bombe nucléaire est un scénario assez improbable dans le terrorisme du monde moderne. La "bombe sale", explosif entouré de matériau radioactif ne produisant pas une réaction nucléaire à proprement dite, mais faite pour contaminer au maximum la zone, reste l'arme la plus plausible ( bien moins coûteuse et plus facile à se procurer, transporter, et mettre en œuvre ), mais pour autant peu fréquemment retrouvée dans l'histoire.

L'empoisonnement aux matériaux radioactifs tel le polonium 210 ne sont pas vraiment envisageable dans le terrorisme. Une dose infinitésimale coûtant plusieurs dizaines de millions d'euros et étant extrêmement difficile d'accès, elle n'est à priori du ressort que des services gouvernementaux en particulier russes, dont les services secrets sont toujours soupçonnés de plusieurs empoisonnements au polonium représentant à ce jour le meilleur exemple de meurtre parfait, indétectable et sans danger à l'extérieur du corps, passant à 100% de mortalité différée lorsqu'il est ingéré et correctement dosé du fait de son rayonnement alpha, sans laisser la possibilité de remonter à son hauteur.

Menaces secondaires des services de secours

Ce sont avant tout les risques liés à l’environnement, les auteurs citent notamment le 11 septembre 2001, où plus de 9300 personnels de secours  sur place ont été exposés à toutes sortes de dommages de type traumatiques ( 29% ), respiratoires ( 22% ), et occulaires ( 12% ).

- Les particules aeroportées:

Issues des explosions, feux et effondrements, ces nuages de poussière causent des pathologies cutanées, occulaires et respiratoires, notamment avec d'importantes irritations du nez et de la gorge en l'absence de masques de protection. Elles peuvent compliquer des sinusites, asthmes, des reflux gastro-oseophagiens, et mêmes dans certains cas déclencher des sarcoïdoses ( maladies systémiques inflammatoires ).

- L'instabilité des structures:

Le risque d'effondrement secondaire est une cause majeure de blessure ou de mort parmi les services de secours, qui doivent composer en France avec les unités compétentes ( personnels de la sécurité civile ou des pompiers ) avant de s'engager dans un milieu structurellement instable.

- Feu:

Les incendies ou reprises d'incendies sont de même un risque qui doit impérativement être maîtrisé avant d'autoriser une intervention de services de secours.

- Les dommages psychologiques:

La survenue de syndrome de stress post-traumatique est fréquemment constatée chez les victimes ou témoins d'attentats, il y a en France des CUMP ( cellules d'urgence médico-psychologique ) qui sont le plus souvent déclenchées pour une prise en charge psychologique immédiatement après les faits et un débriefing, comme sont aménagés les " sas " de décompression en sortie d'opération extérieure pour les militaires français. Toute personne à l'issue d'un tel événement doit se faire proposer ce service ou être orienté vers une équipe qui pourra assurer une évaluation et un suivi si nécessaire, même de manière différée, un traumatisme larvé et occulté pouvant causer des dégâts considérables de longues années après et ce même après une période d'apparente totale rémission.

_____________________________________________________


" Risks to emergency medical responders at terrorist incidents: a narrative review of the medical literature " Thompson J, Rehn M, Morten Lossius H Crit Care 2014


09 janvier 2015 à 23:12:29
Réponse #1

guillaume


En France concernant les forces de l'ordre, seules de rares unités sont capables d'intervenir en atmosphère chimique. C'est le cas du GIGN ( plan PIRATOX ) et des unités FIPN ( RAID, GIPN, BRI ) entraînés à évoluer en tenue NRBC si nécessaire.

Il n'y aurait pas le 2ème RD aussi même si pas directement dans les FO ?

a+

09 janvier 2015 à 23:47:04
Réponse #2

fry


Tout à fait, même si je visais plutôt dans ce passage les forces de l'ordre amenées à intervenir en métropole.

10 janvier 2015 à 00:29:47
Réponse #3

X


Pour ceux que ça intéresse la page Facebook de la Gendarmerie nationale vient de publier un album de 13 photos de l'assaut du GIGN à Dammartin-en-Goële ainsi qu'une vidéo.

Dans tous les médias on ne voit que des images du toit de l'entrepot prises de très loin.

à voir !  :yeah:

10 janvier 2015 à 05:46:50
Réponse #4

cosmikvratch


Citer
Les engins explosifs secondaires:

Destinés à exploser avec un certain délai de manière à toucher un maximum de personnels de secours affluant une fois l'attentat effectué.

Citer
C'est cependant un mode opératoire relativement peu fréquent, utilisé pour la dernière fois de manière certaine durant l'attentat d'Atlanta en 1996

peu fréquent en occident peut-être... ;) mais la double bombe est un mode opératoire classique d'Al Quaida Yemen... qui a encore très peu d'historique dans nos contrées.


le même jour que Charlie: tentative ratée
Citer
Une autre source de la sécurité a indiqué qu'un Somalien avait été arrêté en possession d'explosifs alors qu'il tentait d'entrer dans l'hôpital Al-Joumhouriya, où ont été admis plusieurs blessés de l'attentat.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/01/07/une-vingtaine-de-morts-dans-un-attentat-au-yemen_4550413_3218.html#ImouO4jeOWrAorBJ.99
Un collègue médecin yéménite était présent sur place et confirme. Il y a plusieurs autres exemples (dont un réussi) ne serait-ce que dans les deux derniers mois.

Dans les deux hôpitaux où je travaille au Yemen on a intégré ce risque à notre plan blanc: un périmètre large autour de l'hopital, avec filtrage des patients (triage) à l'extérieur des portes de l'hôpital en cas d'afflux de blessés.
Le "crowd control" est de toute façon un enjeu majeur des "mass casuality plan" (désolé pour les anglicismes), particulièrement dans les pays où tout le monde est armé: risque supplémentaire des proches de blessés qui pêtent un cable et deviennent menaçants envers les soignants pour passer en premier...  On a bien-sûr une guérite de désarmement pour le stockage des kalash et des djambia (le poignard traditionnel), mais en cas d'afflux massif... c'est un gros challenge de faire respecter la règle "pas d'arme dans l'hopital" à la lettre.

Pour les dommages psychogiques: selon mon expérience (rien de scientifique) il sont proportionnels à la surprise et au degré de "passivité ressentie": au plus on s'attend à un évènement violent et on a prévu quoi faire, au "mieux" c'est vécu.
c'est pour ça qu'en général les médicaux encaissent mieux: en plus d'une certaine expérience de la violence/de la mort, ils ont des gestes techniques à mettre en oeuvre qui "occupent l'esprit" et évitent d'être en position de témoin impuissant.

moralité: mieux vaut anticiper et se donner une ligne de conduite à l'avance. Bon, sur un site comme ici ce n'est pas un scoop! :-[
« Modifié: 10 janvier 2015 à 06:22:09 par cosmikvratch »
Life's a bitch (and then you die)

10 janvier 2015 à 10:00:15
Réponse #5

h


merci Fry pour cette excellente réflexion....
ci joint quelques retours du Citera,
(si cela ne va pas dans le sens de ton post, je peux supprimer?)


cet incident fût l'une des piste de réflexion à l'apprentissage plus systématique du TCCC aux unités civiles ( soins tactique / sous le feu ) dans les pays anglo-saxons. Des études et débats sont toujours en cours aux états-unis pour modifier la doctrine de secours arrivant après la sécurisation des forces de l'ordre, et les remplacer parfois par des secours tactiques

11 janvier 2015 à 12:39:06
Réponse #6

h



12 janvier 2015 à 12:41:00
Réponse #7

logan


Merci pour les docs hrk ! Je me suis permis de les ajouter sur http://oldu.fr/docs/ (avec quelques autres)

12 janvier 2015 à 14:48:55
Réponse #8

fry


Pas de soucis c'est bien dans les cordes de ce topic ( j'avais déjà mis un lien vers le document du choc hémorragique ci-dessus dans le topic sur les gestes d'hémostase à la chasse il y a quelques semaines ). Attention pour le SAFE MARCHE RYAN ( acronyme pour l'évaluation des bléssés du sauvetage au combat ), seul le " SAFE " est envisageable par un secouriste en métropole hors zone de guerre, cf discussion sur l'autre topic.
« Modifié: 12 janvier 2015 à 20:24:25 par fry »

12 janvier 2015 à 19:42:08
Réponse #9

Spip


Tu veux dire SAFE ?

Tu exclues MARCHE au profit de ABC ? Est-ce parce que tu considères que le saignement est moins courant dans le civil ?

12 janvier 2015 à 20:23:52
Réponse #10

fry


Tu veux dire SAFE ?

Tu exclues MARCHE au profit de ABC ? Est-ce parce que tu considères que le saignement est moins courant dans le civil ?

Oui SAFE bien sûr, c'est un lapsus. Tout ce qui est dans le SAFE est globalement du ressort d'un secouriste, avec évaluation globale, protection de soi même et d'autrui, éventuellement extraction d'urgence etc.

Ce que j'exclue de MARCHE c'est surtout les nombreuses manœuvres relevant su SC2 ( abords veineux, exsufflations ), mais en le décortiquant certaines parties comme le contrôle des hémorragies relèveraient du secourisme. En fait en décortiquant et en enlevant ce qui n'est pas approprié on se retrouve rapidement sur les formations conventionnelles civiles ( que ce soit le PHTLS ou les formations françaises ).

Quelqu'un ayant déjà comme base les formations conventionnelles et complétant son expérience par cette formation en vue d'un usage métropolitain ( accident de tir, attentat / fusillade ) aura surtout usage de ces mesures générales je pense qui sont des mesures d’environnement / d'ambiance et de gestion d'une situation à victimes multiple spécifique.
Tout ce qui relève ensuite des gestes techniques spécialisés, retombe sur le débat de l'autre topic.


 


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