Salut,
Plein de choses ont déjà été écrites ici sur ce sujet de l'ours. D'une manière générale, j'ai envie de dire qu'il faut faire très attention à l'anthropomorphisme et surtout à la peur récurrente de l'humain face à la nature (ce sujet à lui seul est très vaste... et j'ai vu qu'il avait été traité sur ce forum), et donc de ses comportements et interprétations du mon animal... surtout si l'animal est plus gros que lui.
On le lit, on l'entend : l'ours est "méchant", il "tue pour le plaisir", il est "cruel", etc. Ce sont des choses qui reviennent sans cesse, et pas seulement pour l'ours. On le dit pour bien d'autres prédateurs comme le loup, le lynx, le renard, la fouine et consorts. Ces notions, inventées par l'humain, ne sont attribuables qu'à lui. Surtout pas à l'animal.
L'animal vit, simplement. Il mange, dort, se reproduit. Il fonctionne, pour cela, avec son instinct.
Prenons un exemple intéressant, qui s'éloigne juste un peu du sujet mais qui peut permettre de comprendre des choses (et notamment notre vision réductrice des comportements animaux) : si un loup rentre dans un parc plein de moutons, dans beaucoup de cas, il en mettra plusieurs au tapis. Non pas qu'il soit sanguinaire ou qu'il ait envie de régler ses comptes avec l'assureur du berger, non, c'est un peu plus subtile que ça. Son action de "surplus killing" (notion écologique décrite dans les années 70 ; pour les anglophones :
http://www.wolftrust.org.uk/a-d7-depredation-surplus.html) correspond en fait à une succession de comportements instinctifs qui vont lui permettre de passer de l'état d'affamé à l'état de rassasié. Mais d'une extrémité à l'autre, il y a une série de comportements qui doivent s'enchaîner : mise en chasse, repérage de la proie, attaque, capture, mise à mort, consommation. Le "surplus killing" intervient au moment précis où la jonction de deux actions, la mise à mort suivie de la consommation, ne peut pas se faire. Dans un enclos, ou dans certaines conditions dans la nature (animaux en hardes denses, coincés par la neige ou autre), il y a un gros gros problème pour les proies : tant que ça bouge, le prédateur va tuer... tout simplement parce que pour un prédateur, tant que ça bouge autour de lui, ce n'est pas mort... donc, consommation impossible. Pour un renard dans un poulailler, c'est la même chose. Il tue les poules les unes après les autres jusqu'à ce que plus rien ne bouge autour de lui. Là, il peut manger ou emporter celle qu'il a devant lui.
Tout ça pour illustrer une chose toute bête : on méconnait souvent l'origine des comportements des animaux, et ici, puisque c'est le sujet, des prédateurs. Le résultat d'une observation (une multitude de proies tuées) peut conduire à des conclusion hâtives ("ho qu'il est méchant cet ours"). La plupart du temps, la méconnaissance entraine la peur et des réactions démesurées face à l'imprévu... et c'est d'ailleurs le cas pour bon nombre d'autres sujets. Attention donc à ne pas (toujours) mélanger l'homme et l'animal.
Instinct, donc. L'ours est un instinctif. C'est un carnivore et, puisqu'il est gros, il mange beaucoup. Mais son écologie va dicter son comportement : un ours polaire ne mangera que de la viande (ou de la glace s'il a encore faim et vu là où il se trouve... ha non, c'est l'humain qui mange de la glace
), alors qu'un ours brun pourra être quasi exclusivement herbivore (tout dépend toujours de l'endroit où il vit, et du nombre de ruches et de moutons dans son territoire !). Donc il faut être pragmatique : croiser un ours polaire sur la banquise ne présente pas les mêmes risques que croiser un ours brun dans les Abruzzes.
J'ai eu la chance (et je pèse mes mots) de croiser un ours marsicain là bas, un face à face de nuit et à 10m : un moment d'une grande intensité, dans un endroit complètement désert. Ma seule envie était de le voir, de bouffer cet instant indéfiniment, de le photographier, mais surtout pas de fuir. Et je ne crois pas être un inconscient. Malheureusement, il a eu plus peur que moi (normal pour une bête
sauvage et non habituée à l'homme comme sur un parking japonnais ou autour des poubelles d'un camping canadien), et s'est vite fait la belle.
Par contre, j'ai repensé souvent à ce moment et j'ai toujours fait le parallèle avec ce chasseur qui a croisé Cannelle dans les Pyrénées : pourquoi a-t-il tiré dessus ? Pourquoi un mec armé, face à une bestiole qu'il était allé emmerder sur son territoire (il savait qu'elle était là avec son jeune), s'est il senti agressé ? A-t-il été "agressé" ou est-ce une peur atavique, par méconnaissance de la nature, une mauvaise interprétation, qui est remontée ? Le flingue était peut être la solution facile. M'est avis qu'il ne risquait pas grand chose...
Dans les Abruzzes, s'il avait été à ma place, comme beaucoup, il aurait peut être aussi tiré : un ours tout près, de nuit, avec des cerfs qui brament et qui excitent l'atmosphère partout autour, seul et très loin de la première route... de quoi foutre la chair de poule à plus d'un vaillant, je me trompe ?
Je ne raconte pas ça pour faire le fier-à-bras (j'ai pas la carrure pour ça), mais objectivement je reste persuadé que la première manière de se sortir d'un mauvais pétrin plein d'ours, c'est de ne pas aller vers le danger qu'ils peuvent représenter. Donc éviter de surprendre un grizzli de Katmai avec un petit ou sur une proie, éviter de se servir de son sandwich au saumon comme oreiller sur la banquise du Nunavut, éviter un vallon dans lequel on sait qu'une femelle se balade avec son petit, etc... mais on ne va pas revenir sur ces précautions de base qui ont déjà été traitées ici. Un mauvais comportement ("mauvais" si le danger objectif est connu, après on ne peut pas tout prévoir non plus et s'empêcher toute balade en zone à ours) peut être fatal à l'ours comme au bonhomme...
Une petite anecdote en plus, au passage, pour compléter les méthodes de défense en cas de rencontre. A Baffin, un Inuit m'a expliqué deux choses pour éviter l'ours : surtout tu regardes partout avant de sortir de ta tente le matin (sinon, la tête en moins, on marche beaucoup moins bien), et s'il y a un ours qui se promène par là et qui approche, il faut rameuter tout le monde, rester en groupe, gueuler plus fort que possible, et, petit conseil qui vaut cher mais qui ne coûte pas un rond de plus, agiter une toile de tente comme on secouerait une nappe pour en virer des miettes. Une toile de tente qui s'agite, c'est très gros et très bruyant... et c'est surtout un très bon moyen de faire dégager un ours dans un endroit où le fusil n'est autorisé qu'aux locaux... ou si vous êtes allergique au fusil. Un conseil comme ça, je prends ! Cela dit, même si la possibilité de croiser un ours était envisageable, elle était faible (remarquez, il suffit d'un seul) : quand on est sur une zone de banquise très compacte, collée à la terre, les ours ne se baladent pas trop par là. Ils préfèrent les zones cassées, les polinies, les bordures de plaques où les phoques et autres mammifères marins viennent prendre l'air. On peut donc aussi appréhender les risques à grande échelle, avec un peu de bon sens et quelques connaissances sur l'écologie des bestioles.
Autre petit truc marrant : Mike Horn, lui, préconise de se brosser les dents le matin, juste avant de quitter le camp... et surtout pas le soir avant de s'endormir : le dentifrice à la menthe, ça sent très fort et très loin !
Mais au delà de tout ça, le meilleur moyen de survivre, en règle générale, c'est de ne pas avoir à le faire, non ? Prudence et connaissances pour une bonne prévention, donc...
NB : pardonnez-moi si j'ai été un peu long !