Quelques éléments pour suivre ce qui se passe à Fukushima.Avertissement : ce petit texte (trop) rapidement écrit n’a pas la prétention d’être exhaustif, et il peut contenir des erreurs, des simplifications et des approximations. Il n’a d’autre prétention que d’aider ceux que ça intéresse à se faire une opinion, et à décrypter les informations plus ou moins correctes qui sont diffusées dans les médias. Il ne reflète pas non plus nécessairement l’opinion de l’organisme dans lequel travaille son auteur. Son principal apport est d’aider à structurer la réflexion.Une des premières recommandations à donner aux lecteurs de ce texte est de ne pas s’en contenter, et de compléter leur information au fur et à mesure de leurs besoins. Wikipedia (en français, ou souvent mieux en anglais) n’est certes pas parfait, mais est en général une source correcte si on s’en tient aux articles déjà bien relus. Je souligne dans le texte beaucoup de mots clés qui gagneraient à être mieux cernés avec Wikipedia ou une autre source.
Pour des informations de base sérieuses, vous pouvez lire :
"Le nucléaire expliqué par des physiciens", trouvable en librairie ou sur Amazon etc. Il est maintenant téléchargeable gratuitement et facilement ici
http://iramis.cea.fr/spec/Nuclear.pdf C'est un bouquin vraiment objectif et bien documenté sur l'énergie nucléaire, écrit par un groupe de physiciens qui n'avaient pas d'a priori sur le sujet, mais qui ont travaillé ensemble pendant des années pour se faire une opinion objective. Tous les maillons de la filière sont expliqués et décortiqués, avec un regard critique et pas doctrinal : ça permet de se faire une idée personnelle, et de ne pas avoir le tournis entre les informations contradictoires et souvent erronées énoncées ici et là ...
Il y a aussi un certain nombre de liens d’actualités qui méritent d’être suivis, même si il est frappant de voir combien les informations sont incomplètes :
http://www3.nhk.or.jp/nhkworld/http://www.asn.fr/http://www.irsn.fr/FR/Documents/home.htm (en français)
http://www.iaea.org/newscenter/news/tsunamiupdate01.htmlhttp://www.bbc.co.uk/news/world/asia_pacific/http://www.tepco.co.jp/en/press/corp-com/release/index-e.htmlhttp://english.kyodonews.jp/news/http://www.nisa.meti.go.jp/english/index.htmlEt vous pouvez regarder ce dessin animé, qui est à la fois désolant et drôle, où les autorités japonaises communiquent auprès des enfants sur la catastrophe :
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=5sakN2hSVxA
L’Energie nucléaire : fusion, fission, étoiles, bombes, réacteursLes
atomes diffèrent par le nombre des
protons (Z) et des
neutrons qui composent leur
noyau, et les différents « éléments » sont classés par nombre de protons croissant : du plus léger, l’hydrogène (un seul proton), aux plus lourds, les « transuraniens », dont on n’a pas fini de dresser la liste. Chaque élément a des «
isotopes » : le noyau, en plus de ses Z protons, comporte aussi des neutrons. Et pour avoir un atome, il faut que ce noyau soit entouré de Z électrons, la charge totale étant alors nulle (un atome avec pas assez ou trop d’électrons est appelé un ion). Seul l’hydrogène peut exister sans neutrons – mais il a quand même deux isotopes, le deutérium (1 proton plus 1 neutron), et le tritium (1 proton et 2 neutrons). Il ya une relation semi empirique qui prédit le nombre de neutrons qui doivent être ajoutés aux Z protons pour former un atome Z stable. Et les formes isotopiques s’écartant de cette loi sont souvent moins stables : ils se détruisent spontanément en cassant leur noyau en d’autres noyaux plus légers, ou en émettant un neutron, ou encore en transformant un de leurs neutrons en proton (changeant ainsi de Z, donc de nom d’élément).
Les atomes très lourds sont souvent instables, et cette «
fission nucléaire » dégage de l’énergie. A-contrario, il est possible de regrouper des noyaux légers en gagnant de l’énergie («
fusion nucléaire »). Au milieu, le fer avec Z=26, est désespérément stable.
L’énergie des étoiles provient essentiellement de la fusion de l’hydrogène. Ce n’est que quand celui-ci est presque épuisé que la fusion de l’hélium, puis d’éléments plus lourds, se produit. Quand on arrive à brûler des éléments lourds (moins lourds que le fer), il n’y a plus assez d’énergie pour soutenir la masse de l’étoile, et celle-ci se contracte de façon plus ou moins catastrophique suivant sa masse initiale. Le reste peut être une naine, ou donner une nova, une supernova, et éventuellement une étoile à neutrons ou un trou noir. C’est lors de cet effondrement que sont produits tous les éléments de Z > 26 : nous sommes construits avec des cendres de supernova.
L’homme a découvert ces réactions dans la première moitié du XX° siècle, et a commencé à faire des bombes avec. La
bombe A développée par le programme Manhattan, et qui a donné lieu à Hiroshima et Nagasaki, est le résultat de la maitrise d’une réaction de fission divergente, alors que les
réacteurs nucléaires sont le résultat d’une
réaction en chaine stable et maitrisée (hors accident…).
La fusion thermonucléaire quant-à elle n’a été vraiment réalisée par l’homme que de façon explosive : c’est la « bombe H ». Les chercheurs essaient depuis plus d’un demi-siècle de la réaliser de façon contrôlée (par confinement magnétique principalement, et le programme ITER est un grand pas dans cette direction). L’avantage d’un réacteur à fusion résidera dans l’absence de possibilité de détournement militaire, dans l’impossibilité d’accidents graves, dans la disponibilité à très long terme de carburant, et enfin dans l’absence de déchets. Mais son inconvénient est la difficulté technologique et le coût.
L’énergie nucléaire que nous utilisons tous les jours est donc une énergie venant de la fission de noyaux. Bien qu’il existe plusieurs filières de combustibles : avec de l’uranium naturel (non enrichi en U235) comme dans la filière canadienne, ou encore avec du thorium etc., nous regarderons essentiellement le cas le plus fréquent, celui du réacteur nucléaire à uranium enrichi.
La réaction de base est la fission de l’uranium 235 : un neutron venant d’une fission spontanée (rare, mais non exceptionnelle) va induire une fission dans un autre noyau d’U235, libérant deux noyaux plus légers, et des neutrons. Pour que la réaction se poursuive, il faut qu’au moins un des neutrons produits induise une autre réaction : c’est là que s’introduit le concept de
criticité. La criticité est mesurée par le rapport de multiplication k, qui est le nombre de neutrons produits à la génération n divisé par le nombre de neutrons produits à la génération n-1.
Dans une bombe A, on cherche à maximiser k pendant le plus longtemps possible, pour faire fissionner le maximum d'uranium ou de plutonium : réaction en chaine divergente, excursion exponentielle. Si on concentre toute la matière fissile en une sphère, il existe une masse critique pour laquelle la réaction divergera (k>1). Mais elle cessera vite, car la sphère se disloquera. Et si la matière fissile n'est pas concentrée en une sphère, la masse critique est plus élevée.
On peut réduire cette masse en entourant la sphère de réflecteurs de neutrons, et prolonger la durée de la réaction en chaine en comprimant la configuration avec des explosifs classiques (c'est l'énergie cinétique des matériaux fissiles implosant qui maintient la configuration assez longtemps, aidée par les réflecteurs). Cette compression peut être faite soit en configuration "gun" avec de l'U235, soit en implosion sphérique avec du PU239. La puissance maximum d'une bombe A est limitée par le fait qu’il est difficile de disposer un maximum de matériau fissile en gardant la possibilité de rassembler tout ça en une sphère assez parfaite lors de l’implosion.
La quantité de matière fissile dans un réacteur serait largement assez grande pour atteindre des k très élevés. Mais les ingénieurs s'arrangent pour que ça ne se produise pas. Le pilotage d'un réacteur se fait précisément à la limite de criticité k=1 : il y a autant de neutrons produits par fission que de neutrons absorbés. C'est une réaction en chaine "constante".
La régulation se fait de façon passive (effet doppler entre autres) et active (barres de régulation par exemple). Et elle doit se faire à 10^-5 près. Un élément favorable est qu'une partie des neutrons (dits "prompts" – à ne pas confondre avec les neutrons « rapides ») est émise dans les 10^-14 s après la fission de l'uranium, alors qu'une faible fraction est émise nettement plus tard par des fragments du noyau fissionné. Le retard peut atteindre plusieurs secondes, ce qui permet le pilotage par les barres de contrôle. Mais un réacteur en activité est toujours juste critique (k=1 +/- 10 ^-4).
Les différentes filières de réacteurs à fissionPour comprendre l'importance relative des différents accidents du nucléaire civil, il faut bien distinguer les technologies des réacteurs : ceux de Three Miles Island (PWR), Tchernobyl (Graphite) et Fukushima (BWR) ont des filières totalement différentes, et ça a un énorme impact sur les conséquences des accidents respectifs.
Les différents types de réacteurs se distinguent par le choix du combustible (uranium naturel, uranium enrichi, MOX, thorium etc.), et par le choix du
modérateur (eau lourde, graphite, eau « normale »), mais les deux sont en effet liés. La possibilité d’utiliser l’
uranium naturel, à faible teneur en U235 est tentante, mais elle oblige à utiliser de l’eau "lourde" D2O comme modérateur – c’est la solution utilisée par exemple dans la filière gaz - eau lourde qui était la première filière envisagée en France, mais aussi dans les réacteurs canadiens CANDU qui fonctionnent à l'uranium naturel. L'eau "normale" modère trop les réactions de fission pour utiliser de l'uranium naturel, d'où le recours à de l'
uranium enrichi (on augmente le taux d'U235), et de
MOX (avec recyclage d'une partie du plutonium produit dans un premier cycle du combustible). Le graphite peut aussi être utilisé comme modérateur : il y a plusieurs filières qui utilisent le graphite, la grande différence portant sur le fluide de refroidissement. En France, on a utilisé la technique graphite - gaz (Chinon et Marcoule : 6 réacteurs aujourd'hui arrêtés). A Tchernobyl, c'était graphite - eau. Et sans entrer dans les détails, ce n'est pas le plus facile ...
La majorité des réacteurs en service aujourd’hui dans le monde utilisent l’uranium enrichi comme carburant (avec une part plus ou moins importante de carburant recyclé contenant du plutonium : le MOX), et l’eau « normale » comme modérateur. Mais même alors il y a plusieurs choix technologiques possibles, les deux principaux étant les PWR et les BWR (respectivement REP et REB en français) :
-
PWR = « Pressurized Water Reactor » ou «
REP » = « Réacteur à Eau Pressurisée » - c'est à dire que l'eau du circuit primaire en contact avec le cœur et radioactive est pressurisée et ne bout pas. Sa température est d'environ 325°C. Elle passe dans un échangeur et chauffe l'eau du circuit secondaire - non radioactive - qui fait tourner les turbines. Cette eau secondaire peut être en circuit ouvert, ou être refroidie par une tour de refroidissement. Tous les réacteurs en service en France actuellement sont des PWR.
-
BWR = « Boiling Water Reactor » ou «
REB » = « Réacteur à Eau Bouillante » : c'est la vapeur de l'eau du circuit primaire qui fait tourner les turbines, et retourne au réacteur après avoir été refroidie par un condenseur où passe de l'eau en circuit ouvert, non radioactive. La température de l'eau dans le réacteur (circuit primaire) est d'environ 285°C. A Fukushima, c'est l'eau de mer filtrée qui était utilisée dans le secondaire.
Rappelons encore que les PWR et les BWR utilisent de l'eau normale, ou "légère", c'est à dire H2O par opposition à l'eau "lourde" D2O Dans le cas des PWR, on met de l'acide borique dans l'eau primaire pour ajuster la réactivité. Dans les BWR, il n'y a - en régime normal - pas de bore dans le circuit primaire.
Les accidents :
Accidents de criticitéIl y a eu différents accidents de criticité dans la recherche et l'industrie nucléaire, et
Tchernobyl a bien eu un accident de criticité : on a brièvement dépassé k=1, et la puissance instantanée a dépassé dix fois la puissance maximum (excursion transitoire – probablement interrompue par la destruction partielle du cœur), mais on n'a pas eu une divergence exponentielle prolongée comme dans une bombe ; et si il y a eu fonte du cœur ,fonte qui fit un horrible tas de "corium" par la suite, ce corium, pour autant que je sache, n'a pas atteint une configuration critique. Néanmoins, Tchernobyl avait tout pour plaire : c'est le feu du graphite qui a été un des éléments clefs. Les gros problèmes de Tchernobyl étaient que :
1) ce type de réacteur est naturellement instable à puissance faible
2) le graphite brûle
3) il n'y avait pas plusieurs enceintes de confinement.
Quand à la suite d'une manœuvre imprudente le réacteur s'est trouvé en régime instable, les opérateurs ont accumulé une série de réponses erronées qui ont conduit à une violente explosion, à la rupture de l'enceinte de confinement du cœur, et à l'incendie du graphite. La quantité de radioéléments libérés a été énorme. Un bilan sanitaire des conséquences de Tchernobyl que je trouve objectif se trouve ici :
http://www.wonuc.org/xfiles/aurengo1.htm
On peut aussi citer des accidents de criticité brefs liés à des manipulations en laboratoire d’une sphère sub-critique de plutonium. Aussi invraisemblable que ça puisse paraître, la même sphère (demon core) a tué deux chercheurs – en 1945 et 1946 à Los Alamos - les deux manipulant à la main des réflecteurs de neutrons pour voir la limite critique. Dans le même genre de délire, il y a eu à OakRidge un bidon qui recueillait des liquides radioactifs, sans qu’on se préoccupe trop de savoir ce qu’il y avait dedans, et qui s’est mis à avoir le hoquet en faisant des petits sauts de criticité …
Les autres types d’accidentsEn dehors de la perte de contrôle entrainant directement une excursion de criticité, un certain nombre d’autres perturbations peuvent entraîner des dysfonctionnements plus ou moins graves.
Des erreurs humaines dans la conduite du réacteur, dans la manutention des combustibles etc. : ce fut le cas à
Three Miles Island.
Des accidents naturels : séisme, tsunami, chute de météorite etc. : à Fukushima Daishii, ce fut séisme ET tsunami …
Des accidents liés aux humains : chute d’avion (accidentelle ou terroriste), bombardement ou sabotage des installations etc.
Les structures sont de plus en plus surdimensionnées pour résister à des accidents : les PWR actuels sont dimensionnés pour résister à la chute d’un avion de tourisme, les EPR en construction à celle d’un gros porteur type A380 ! Entre Tchernobyl et les réacteurs français actuels, il y a des ordres de grandeur dans la sécurité, et encore des ordres de grandeur avec les nouveaux EPR. Est-ce assez ?
Dans tous les cas où un accident entraîne l'arrêt d'un réacteur (l'arrêt de la réaction en chaine), il faut néanmoins assurer le refroidissement, car la chaleur dégagée par les éléments combustibles reste suffisante pour provoquer des dommages en l'absence de ce refroidissement :

On comprend facilement que si la circulation d'eau n'est pas maintenue, et en particulier si les éléments de combustible ne sont plus immergés, la température peut monter à plusieurs centaines de degrés, et conduire ainsi à une dégradation des gaines de combustible, puis à une fonte partielle ou totale du cœur.
Le cas de Fukushima Daishii Un schéma de principe des réacteurs BWR (la piscine de stockage est collée contre l'enceinte principale):

Et un plan de l'ensemble du site :

Les réacteurs 1, et 2 avaient été chargés avec de l'uranium faiblement enrichi, seul le 3 contenait en plus du MOX. Mais ça ne signifie pas que les combustibles sont "propres", car ayant été utilisés un certain temps, le combustible est devenu un mélange complexe d'isotopes variés, dont certains sont dangereux.
A Fukushima, il n'y a pas eu d'accident de criticité, car, malgré le séisme, les barres de contrôle ont bien fonctionné et ont stoppé la réaction en chaîne. Mais ce sont les circuits de refroidissement qui sont tombés en panne, ce qui a conduit à la situation actuelle.
Le séisme a entraîné l'arrêt d'urgence des réacteurs en activité (1, 2 et 3), et l'interruption de l'alimentation électrique. Il a aussi sans doute causé d'autres dégâts aux différents équipements hydrauliques et de contrôle. Le tsunami quant à lui a balayé une partie des installations, mais surtout a provoqué la mise hors service des générateurs diesels de secours, ce qui a rendu l'alimentation des circuits d'eau impossible. Il n'est pas encore établi de façon claire si les circuits hydrauliques (primaire et secondaires) avaient encore une intégrité suffisante juste après le séisme.
La situation actuelle (MAJ le 04 avril 2011)Tout d'abord, un lien sur des images du site après l'accident :
http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2011/03/fukushima-les-photos-o%C3%B9-lon-voit-presque-tout-.html (ce lien provient du blog de Sylvestre Huet : http://sciences.blogs.liberation.fr/home/, qui est un bon blog scientifique).Dans le cas de Fukushima, à la suite de l'arrêt automatique de la réaction en chaine en cours dans les réacteurs 1, 2 et 3 (arrêt provoqué par l'insertion des barres de contrôle, qui s'est bien opérée), le refroidissement n'a plus été assuré par suite d'une rupture du réseau électrique (en raison du séisme)
ET d'une panne des générateurs de secours, inondés par le tsunami. La vapeur en surpression a été libérée, et le haut des barres de combustible qui n'était plus refroidi a
peut-être commencé à fondre (d'où le césium mesuré).
L'interaction entre l'eau et les gaines de zirconium ont produit de l'hydrogène dans le réacteur. Pour préserver l'intégrité de ces réacteurs, l'hydrogène a été relaché pour faire baisser la pression. Les toits des bâtiments ont été soufflés par l’explosion de l’hydrogène produit par la chaleur élevée, mais ce n’est pas le problème majeur, ça a au contraire permis l’arrosage des zones chaudes par des lances à eau, et dans une moindre mesure par largage depuis des hélicoptères.
Ces opérations, bien qu'impressionnantes et paraissant désespérées ont permis d'éviter d'envoyer du personnel dans des zones où les radiations étaient à ce moment là très dangereuses. Des canons à eau sont toujours utilisés pour remplir certaines piscines. La difficulté d’accès, et l’interruption de l’alimentation en eau et en électricité ont ensuite posé des problèmes de refroidissement des piscines de stockage des combustibles usagés situées à proximité immédiate des réacteurs 1, 2, et 3, mais aussi de celle du réacteur 4 qui –ce réacteur venant d’être déchargé de ses éléments combustibles - était (et est encore, bien sûr) très pleine. En outre, les réacteurs 5 et 6 qui étaient en arrêt « à froid » ont aussi donné des inquiétudes, car même en arrêt à froid, la nécessité d’un refroidissement est encore là. Il semble que pour ces deux réacteurs on n’ait jamais frôlé la catastrophe, et que jusqu'au 30 mars, TEPCO envisageait de les redémarrer dans le futur.
Pour les réacteurs 1,2 et 3, dès lors qu'on y avait mis de l'eau de mer, ils étaient condamnés à la casse.Les gros problèmes étaient donc les cœurs des réacteurs 1,2 et 3, et les piscines des réacteurs 1 à 4.
Pour reprendre le contrôle de la température des réacteurs, les opérateurs ont essayé d’injecter de l'eau borée pour refaire les niveaux, mais, faute d’eau douce disponible, ils ont été amenés à refroidir le cœur par de l'eau de mer.
Depuis, en raison de fuites dans le circuit primaire, et sans doute de fissures dans l’enceinte primaire du cœur d’un au moins, voire de deux ou trois des réacteurs, cette eau de mer qui a été en contact avec des barres de combustibles probablement dégradées (rupture des gaines des barres de combustible), s’échappe sur les planchers des bâtiments des réacteurs et des bâtiments des turbines, et ce qui est plus grave,
semble avoir a envahi les tranchées de câbles électriques en dehors des bâtiments - ici, sous toutes réserves, un schéma qui circule de ces tranchées :

Les plus ou moins brèves évacuations successives du site sont liées aux pics de radioactivité émis soit sous forme gazeuse, soit par ces flaques contaminées.
Le problème actuel est le pompage de cette eau fortement contaminée (et son stockage pour traitement ultérieur ?), afin de permettre une remise en état du maximum de circuits pour rendre pérenne la stabilisation des températures, et pour commencer à colmater les fuites.
Une bonne nouvelle est le remplacement progressif de l'eau de mer par de l'eau douce dans le refroidissement des primaires et des cœurs : l'eau de mer est corrosive, et les circuits ne sont pas prévus pour ça, d'autre part, une partie de l'eau injectée partant sous forme de vapeur, il y a des dépots de sel qui peuvent former des bouchons.
L'intégrité d'au moins une des cuves étant dégradée, et en raison d'apparentes fuites sur les circuits primaires, la partie supérieure des barres reste dénoyée dans au moins un des réacteurs. Savoir si la fusion de ces barres continue est très difficile : un des enseignements de cette catastrophe (mais Tchernobyl aurait du nous y préparer) est qu'il est indispensable d'avoir des circuits de mesure et d'observation suffisamment "durcis" pour résister à un accident majeur. Là, on a l'impression que les opérateurs travaillent largement à l'aveugle.
Point de situation le 04/04/2011 : (dolgan)
Pas d’évolution majeure.
Le 2 avril, une seconde barge d’eau douce a été amenée sur le site.
La situation bloquante reste l’évacuation de l’eau présente dans les salles des machines et les tunnels de service.
Unité 1 : ils ont pompé une partie de l’eau présente dans la salle vers le condensateur. Une fois celui-ci plein, ils l’ont vidé dans un second réservoir. Ils devraient bientôt se remettre à pomper l’eau vers le condenseur.
Unité 2 : Idem unité 1. Ils ont juste un peu de retard.
Unité 3 : pas d’info.
Unité 4 : le pompage de l’eau n’est pas une priorité. Le réacteur étant vide.
Le 2 avril, une voie de fuite radioactive vers la mer a été identifié sur le tunnel de service de l’unité 2. Deux tentatives pour colmater la fuite ont échoué. La première utilisait du Béton, la seconde un polymère qu’ils ont chaque fois tenté sans succès d’injecter pour boucher la fuite. Le 2, ils ont installé une caméra pour surveiller à distance le niveau d’eau dans cette tranchée.
Pour pouvoir pomper et stocker l’eau fortement contaminée (plus de 1000mSv/h) située dans la tranchée de l’unité 2, Tepco a eu l’autorisation du gouvernement japonnais de rejeter à la mer 10000T d’eau « faiblement » contaminée (reste à chiffrer le faiblement). 1500T d’eau faiblement contaminée présente dans les sous-bassement des unités 5 et 6 devrait aussi être vidangée vers la mer pour éviter qu’elle ne dégrade les installations de ces unités. L’opération n’avais pas encore eu lieu le 4 avril, l’IAEA ayant demandé plus d’information sur la question.
Etat des réacteurs :
Pas d’évolution majeure.
R1 : L’injection d’eau se poursuit 6m3/h. Température à la buse d’alimentation en eau : 243°c
R1 : L’injection d’eau se poursuit 8m3/h via des canalisations de secours incendie. Température à la buse d’alimentation en eau : 140°c
R1 : L’injection d’eau se poursuit 7m3/h via des canalisations de secours incendie. Température à la buse d’alimentation en eau : 114°c
R4 : vide
R5/6 : arrêt a froid. Situation normale.
Etat des piscines :
Pas dévolution majeure.
Le 1er avril, un complément de 70T d’eau par une canalisation d’eau a été réalisé sur la piscine de l’unité 2.
Des compléments d’eau on aussi était fait le 31mars et le 1er avril sur les piscines 1 et 2. Ils utilisent toujours des camions et des lances à eau pour cette opération.
Les scénarios possiblesJe reproduis d’abord en italique un texte que j’avais écrit il y a une dizaine de jours :
Si les opérateurs arrivent à maintenir le refroidissement pendant quelques jours, on aura une catastrophe certes, avec une pollution radioactive à large échelle, mais bien minime par rapport à Tchernobyl. Si par contre ils n'arrivent pas à empêcher la fusion (fusion thermique, c'est à dire fonte - comme un glaçon qui fond, à ne surtout pas confondre avec la fusion thermonucléaire comme des journalistes le font ces jours-ci) quasi-complète du combustible, et si de plus les enceintes primaires perdent sérieusement leur intégrité, alors il est difficile de mesurer les conséquences.Ce texte est maintenant obsolète : bien que d’énormes efforts aient été consacrés à refroidir les cœurs, on sait aujourd’hui qu’une fusion partielle (mais pouvant aller jusqu’à 70%) s’est produite dans les cœurs des réacteurs 1, 2 et 3, et que au moins une des enceintes primaires (celle du 2) n’est plus étanche ; Il n’est pas certain que les phénomènes de fusion des cœurs soient maintenant derrière nous : un surcroit de radioactivité qui empêcherait le maintien des opérations de refroidissement pourrait aboutir à une fonte totale, avec au pire une perte du carburant vers le bas, aboutissant à une accumulation de corium sous le réacteur. Mais rappelons encore que le risque de fusion thermonucléaire est égal à zéro, alors que de nombreux journalistes confondent sans cesse ça avec la fusion thermique (fonte) du cœur.
A Tchernobyl, rappelons que le tas de corium n'a très vraisemblablement pas atteint une configuration critique. A Fukushima, on peut espérer qu'il en sera de même, même si la fusion des cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 se poursuivait - ce qui pourrait arriver si la radioactivité répandue sur le site empêchait la poursuite des opérations de refroidissement. Mais, contrairement à d'autres types de réacteurs où le cas est explicitement prévu, je n'ai vu nulle part qu'il y avait des répartiteurs de corium pour assurer au moins la non-criticité. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en a pas : simplement, je n'ai pas cette information.
Si cette fonte se poursuivait, même sans qu’une configuration critique soit réalisée, il pourrait quand même y avoir une explosion - non nucléaire - due à la vapeur d'eau ou à des réactions physico-chimiques – ce qui serait catastrophique car dispersant des radioéléments un peu partout.
Sauf si les techniciens japonais réussissent rapidement à reprendre définitivement le contrôle (et en particulier à faire monter et à maintenir le niveau d'eau dans les cœurs et les piscines), l'accident de Fukushima risque donc d'avoir des conséquences directes non négligeables sur notre santé et la qualité de notre alimentation.
Si l'exploitant arrive à reprendre définitivement le contrôle de la température des réacteurs et des piscines dans les prochains jours, et que le "nettoyage" (démantèlement partiel plutôt que sarcophage global) est fait proprement, la quantité relarguée sera sensiblement moindre qu'à Tchernobyl. Mais ce n'est pas encore gagné.
Les conséquences du "pire" scénario sont environ de l'ordre de celles de Tchernobyl (potentiellement encore plus élevées, en raison des quantités de combustibles usagés stockés dans les piscines). Et la circulation atmosphérique globale se chargera de répartir ça dans tout l'hémisphère Nord. Le contaminant le plus ennuyeux sur une large échelle spatio-temporelle est le Césium 137 - qui à Tchernobyl n'a représenté que le 1/40° de la radioactivité totale libérée dans l'accident, mais qui a eu les répercussions les plus lointaines. La radioactivité liée au Césium 137 libéré par Tchernobyl a été estimée à 2,5 MCi (2,5 mégacuries), soit environ le dixième de ce que l'ensemble de tous les essais nucléaires atmosphériques a produit. Mais c'est sur une échelle temporelle brève, et les conséquences sont donc relativement plus importantes. En raison de la dilution irrégulière des contaminants, il est hautement probable que certains cancers ont été causés par Tchernobyl, même dans des pays éloignés.
Quelques remarques localesIl semble évident que l’exploitant TEPCO n’est pas à l’abri de toute critique : il a falsifié des rapports de sécurité, n’a pas tenu compte d’expertises soulignant que les dimensionnements étaient faits pour des séismes trop faibles par rapport aux risques réels, etc.
Pire, il semble qu’il n’y avait pas une culture d’intervention en cas de sinistre : pas de robot, pas de réserves d’eau borée, pas de générateurs de secours en nombre suffisant etc. Par ailleurs, la technologie des BWR utilisée n’est pas – et de loin – la plus récente ni la plus sure.
Remarques générales et conclusionDe l’aveu même des autorités nucléaires françaises, l’accident de Fukushima met le doigt sur un nouveau problème : bien que le dimensionnement de la sécurité des centrales soit de plus en plus exigeant, personne n’a vraiment travaillé sur des scenarios avec cumul de risque. En particulier, personne n’avait examiné ce qui se passerait s’il y avait un séisme ET un tsunami à Fukushima. C’est d’autant plus absurde qu’on sait bien qu’un séisme provoque souvent un tsunami. Ca montre donc les limites de la raison humaine dans la prévision. Mieux vaut compter sur des schémas naturellement sûrs. Or il existe des filières dites à « sécurité passive », où tout est conçu pour qu’en cas d’incapacitation soudaine de l’ensemble du personnel technique (bombe à neutrons, gazage etc.), et en cas d’incident sur le réacteur, il se mette spontanément en configuration d’arrêt sans risque. Il semblerait raisonnable qu’à l’avenir on privilégie ce type de concepts.
Pour ceux que les méthodes d’études des arbres de risque pour des installations industrielles (nucléaires ou non) intéresseraient, il y a une littérature très abondante. Quelques mots-clés :
Fault Tree analysis,
probability risk assesment etc.
Aussi horribles que soient les conséquences immédiates du tremblement de terre et du tsunami, elles sont faibles par rapport à celles du tsunami de 2004 ou du séisme d'Haïti. Sauf les conséquences sur la centrale de Fukushima. Et là, on assiste très vraisemblablement à un bouleversement historique d'un certain nombre de paradigmes de notre société capitaliste (ce qui n'est pas forcément un mal), mais au prix d'une catastrophe écologique qui potentiellement peut être la pire de l'histoire humaine si les opérateurs ne reprennent pas le contrôle dans les prochaines semaines.
Il y a avait un changement progressif dans la vision du nucléaire au sein des opinions publiques, qui de plus en plus voyaient le nucléaire comme un mal nécessaire pour passer le cap de la transition vers des énergies renouvelables et vers l’énergie de fusion, en limitant le recours aux énergies fossiles afin de réduire autant que possible l’effet de l’homme sur le climat. Cette acceptatibilité meilleure est aujourd’hui remise en cause par les évènements au Japon.
Et si je puis conclure sur une note personnelle, je dois reconnaître qu’ayant admis longtemps que le recours à l’énergie de fission était un mal nécessaire (je suis un fervent défenseur de la fusion sur le long terme, et ai consacré 20 ans de ma vie à faire avancer la théorie des plasmas), que j’étais raisonnablement convaincu qu’après Tchernobyl les précautions de sécurité seraient renforcées et qu’un accident majeur serait sinon impossible, mais du moins assez anticipé pour être rapidement circonscrit et stabilisé, j’ai aujourd’hui des doutes.
Il est maintenant prouvé que même dans un pays qui fut le premier à subir une catastrophe nucléaire, qui est un pays technologiquement et culturellement avancé, le souci du profit passe devant celui de la sécurité.
Je pense que si l’on doit garder une partie de la production d’énergie sous forme nucléaire, ce doit être sous un contrôle étatique fort – sans sacrifier la transparence.