Mais ça, c'est pas le béton: c'est l'homme.
Si nos ancêtres avaient eu le béton, et avaient expérimenté, testé, et tirer des conclusions avec la même ingéniosité qu'ils l'ont fait pour le bois, la pierre et la terre, nul doute qu'il aurait été parfaitement intégré, et aurait duré aussi longtemps. Bon, autant dans l'architecture vernaculaire, ça n'aurait pas été spectaculaire, autant dans la "grande architecture", classique, romane ou gothique, ça aurait été... mais... La cathédrale de Strasbourg aurait eu des flèches de 300m de haut, et une nef large comme les Champs Elysées! Le panthéon de Rome, déjà si impressionnant, serait devenu un endroit d'une telle puissance que plus personne n'oserait plus y entrer, et le duomo de Florence, qui laisse perplexe les architectes et ingénieurs d'aujourd'hui, les aurait fait se convertir aussitôt face à un tel prodige dédié à Dieu. Non, entre de bonnes mains, le béton pourrait faire des merveilles incroyables, et il en fait d'ailleurs (notamment dans le génie civile, je pense au viaduc de Millau, qui est un peu notre tour Eiffel des temps modernes).
Ce qui pourrit tout, c'est l'esprit de profit, certes qui a trouvé dans le béton un moyen particulièrement commode de se satisfaire, mais qui n'hésiterait pas à employer des restes humains il s'avérait que c'était plus rentable. Tu dis "la qualité a un prix", avant il n'en était pas ainsi, c'était le raffinement qui avait un prix, pas la qualité! La qualité dépendait de la conscience professionnelle et de l'expérience de son maçon, charpentier, menuisier, ferronnier local, et encore, quand on y faisait appel. j'ai un arrière grand-père qui a construit tout seul sa baraque (ou avec l'aide d'amis et de parents, peut-être), sans architecte, sans maçon, sans charpentier, bref sans "gens de métier", et un siècle après, la baraque tient toujours, nickel. Bon, quelques fissures à réparer, la façade à rejointoyer, un petit coup de peinture de temps en temps, mais déjà thermiquement c'est impeccable (bon, faut dire que le Vaucluse c'est pas non plus un des climats les plus difficiles de France), et puis c'est agréable à vivre. Et tout ça était une sorte de culture constructive populaire, une expérience collective et un bon sens qu'il est rare de trouver aujourd'hui, et qui de toute façon n'a jamais l'occasion de se manifester.
Moi, j'avais commencé à faire des études d'architecture, que j'ai finalement arrêté au bout de deux ans, dégoûté par la fatuité de mes profs, qui étaient imbues d'eux-même, et nous sortaient des baratins conceptuels pour justifier les merdes qu'ils avaient pondu, et qui seront ridicules (et peut-être ruinées) dans cinquante ans. Les cours qu'on avait sur l'histoire de l'archi étaient intéressant, et j'ai disons accepté certains points de vue de la "modernité", sans les prendre pour moi. Mais on voit surtout l'irréversible dégringolade de l'architecture, due à l'essor de la société industrielle et capitaliste bourgeoise, appuyé par les abrutis "révolutionnaires" aujourd'hui acclamés comme des héros, Le Corbusier le premier. Je ne sais pas s'ils étaient profondément malveillants et malhonnêtes, ou seulement inconscients, mais à chaque décennie qui passaient, ils mettaient un clou de plus au cercueil de l'architecture vernaculaire, de son inestimable expérience amassée au travers des siècles, de son bon sens et de sa profonde harmonie avec l'environnement et avec elle-même. Mais le pire de tout, c'est la loi. Cette loi qui ne garantie plus la sécurité de personne, mais qui impose à chacun un contrôle, et le regard sur sa vie d'institutions ou de parasites agréés en triple exemplaire. Quand j'ai entendu un prof d'archi se plaindre que tout travaux du bâtiment n'exigeait pas intervention d'un architecte, j'ai commencé à comprendre qu'il fallait que je me casse de là. Mais c'est à des connards comme ça que l'on doit les errements de l'architecture, ainsi qu'à des saloperies de comptables, d'administrateurs et d'actionnaires, qui pensent chiffre et pas homme.