Salut tous
L'autre jour je "discutais" avec un SDF près de la gare... en fait quand je l'ai vu, j'ai senti qu'il était "sauvage", qu'il vivait dans la nature. Juste à voir ses yeux, sa façon maladroite de bouger sur un sol trop plat... et l'odeur forte de fumée qui se dégageait de lui
Je suis allé le voir, et quand il m'a vu direct il m'a dit bonjour. Il m'a "reconnu". C'est difficile à expliquer. On n'a pas dit grand chose. J'avais un poncho dans mon sac à dos. Il pleuvait. Je le lui ai filé. Il s'est marré, il m'a dit merci. On a parlé du temps pourri. Je vous jure c'était trop bizarre. Ca aurait pu être un vieux pote en fait. On s'est compris sans rien dire ou presque.
Et de fait, c'est après que j'ai gambergé et que j'ai analysé... et que je me suis rappelé grâce à lui un aspect vraiment très important de la survie et de la vie sauvage dont on n'a jamais trop discuté ici. Et c'est vraiment dommage parce que c'est fondamental. C'est plus un aspect "psychologique", c'est pas une technique précise. Mais c'est la preuve qu'on a réussi à vraiment s'adapter à son milieu... qu'il soit sauvage ou pas d'ailleurs... moi j'appelle ça "être sauvage". En anglais ils disent souvent "blending in". Se fondre. Se mélanger à la nature. Y etre comme un poisson dans l'eau quoi... c'est très étrange.
Ceux d'entre vous qui ont déjà passé longtemps dans la nature, que ça soit en forêt ou ailleurs ont très certainement ressenti ça.
Au début, on est speed. On apporte ses soucis "civilisés" avec soi. On est encore en ville en fait. On pue la ville, on pue le parfum et tout. Puis après déjà deux jours, les yeux commencent à mieux voir, les oreilles commencent à mieux entendre. On a déjà le pied plus sûr, on se prend moins de branches dans la gueule, nos déplacements deviennent fluides, même dans les terrains merdiques ou touffus... et on se sent calmes.
Après 4-5 jours, voire une semaine, il commence à se passer un truc encore plus étrange. On réagit moins fort aux piqûres de moustiques, on voit mieux la nuit, on entend mieux, on sent mieux, on goûte mieux... et notre corps se transforme aussi. On marche plus souplement... on bouge mieux, les petites douleurs disparaîssent...
Après deux semaines environs, on commence à être vraiment "dans le bois". On s'est réadapté à la nature... et là, si un mec de la ville débarque dans notre petite vie sauvage, on est frappés de le vori si maladroit, à se prendre les pieds tout le temps, à puer le parfum, à sortir la frontale alors qu'il fait encore clair (et à nous la foutre dans les yeux tout le temps put**n ca fait mal !)... il parle trop fort, trop vite, il gueule en fait. Et quand il marche on dirait un troupeau de bisons... tout résonne, tout roule sous lui... il fait tout vite, mais ça lui prend deux fois plus de temps quand-même au final...
Ca ne vous a jamais fait ça ?
Et après plus de deux semaines comme ça, y'a encore un truc plus étrange qui se passe... c'est vraiment de l'ordre du ressenti, mais c'est vraiment spécial : on a l'impression que les frontières de notre "moi" deviennent un peu poreuses, et qu'on "fait partie" de la nature. Quand je dis fait partie, c'est pas une figure de style... c'est vraiment comme si on était un arbre, un caillou ou un chevreuil, ou n'importe. On ne se sent plus comme un être humain séparé du reste. On se sent juste un petit morceau du grand truc...
(non, il est inutile de fumer quoi que ce soit de spécial, ni de faire des incantations ni rien
)...
Et quand on commence à se sentir comme ça, et qu'on revient ensuite en ville, les gens nous disent souvent qu'on "dégage quelque chose de spécial"... bon à part l'odeur bien sûr... En fait je pense qu'on a juste vraiment, profondément pris le pli et le rythme de la nature, avec une sorte d'absence de codes, et une simplicité qui permet d'écouter vraiment le bordel ambiant. Je sais pas. J'ai pas de réponses, mais j'aime particulièrement cet état d'esprit là. Cette paix là. Et si j'ai choisi de faire le métier que je fais maintenant, c'est pour "prolonger la vie"... ça c'est la partie altruiste, mais c'est aussi beaucoup pour pouvoir me plonger dans cet état d'esprit là le plus souvent possible. Ca c'est la partie égoïste
Ca n'a rien de vraiment spirituel hein. C'est juste, je pense, notre cerveau qui se remet à fonctionner comme il a évolué pour le faire... et je pense que la paix intérieure qu'on ressent, en fait, est juste notre état normal.
Bon et où est-ce que je veux en venir ?
Je veux juste souligner l'importance d'avoir déjà ressenti ce genre de trucs une fois dans sa vie...
Quand on a déjà ressenti ça :
1) on ne peut plus voir la nature comme étant un lieu hostile...
2) on ne peut plus avoir peur du noir, des bêtes ou des insectes...
3) on ne peut plus regarder un bullldozer défricher un hectare sans que ça ne nous fasse mal au bide...
4) on ne peut plus tuer pour rien, ni gaspiller grand chose...
5) on ne peut plus facilement consommer des trucs inutiles, en sachant qu'on nique la nature, et s'en foutre...
6) on ne peut plus non plus gober n'importe quelle connerie sur la nécessité absolue de tel OGM ou de tel industrie...
7) on aime, par ailleurs, l'entreprise humaine un peu moins... et la nature un peu plus...
et, plus concrètement pour nous, qui parlons de survie...
quand on se retrouve dans la m*rde en nature, on reste en phase avec son environnement et la réalité concrète du truc... et on peut plus aisément foutre en l'air son modèle mental débile et revenir sur terre...
Bref... sans rentrer dans des délires mystiques ou religieux (chacun fait comme il veut mais moi c'est pas mon truc de parler de ça, surtout pas en public), il y a quelque chose de profondément précieux là-dedans. Je pense. Et on peut en ramener un peu en ville, de cet état d'esprit là. C'est pas interdit.
Allez ciao
David