Polémiques sur le stock d’arbres des forêts européennesUne équipe scientifique de la Commission européenne a publié dans « Nature » une étude affirmant que le stock d’arbres des forêts européennes est en recul. Leurs détracteurs sont convaincus du contraire.
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Jean Marc Jancovici :
"L’évolution des forêts européennes fait l’objet d’une controverse scientifique inhabituelle dont la revue Nature se fait l’écho. Le stock d’arbres est-il ou non en train de régresser dans l’UE ? Au-delà des débats méthodologiques sur les moyens de le savoir, ce débat pose la question du rôle alloué à ces écosystèmes reconnus comme de précieux capteurs de carbone à l’heure où la lutte contre le réchauffement climatique se fait pressante. Or une étude menée par une équipe du Centre commun de recherche (JRC en anglais) – un service scientifique interne de la Commission européenne basé à Ispra en Italie –, a sérieusement mis en cause l’idée répandue selon laquelle la forêt aurait globalement tendance à s’étendre depuis le XIXe siècle dans cette partie du monde.
En réalité, observent les auteurs de l’étude, essentiellement grâce à l’analyse de données de télédétection, les coupes d’arbres se sont brusquement intensifiées ces dernières années. Selon leurs calculs, pour la période 2016-2018, la superficie des parcelles exploitées aurait augmenté de 49 % par rapport à 2011-2015, ce qui correspondrait à une hausse de 69 % de la biomasse de bois récoltée, les plantations étant plus denses qu’auparavant. Ils relient leurs résultats à un rebond économique à l’échelle mondiale : la ruée sur le bois est motivée par les besoins du secteur de la construction et de l’emballage, entre autres, mais aussi par ceux des centrales thermiques. Le risque de surexploitation pourrait compromettre les objectifs européens d’atténuation du changement climatique dans les prochaines décennies.
Levée de boucliers
Présentées dans Nature le 1er juillet 2020, leurs conclusions ont suscité une levée de boucliers immédiate. Ainsi, deux jours plus tard, un commentaire critique d’une trentaine d’experts et de chercheurs parvenait-il à la revue scientifique. Puis un autre, fin août, signé d’un groupe de sept experts, qui dénonçait aussi des erreurs dans le travail de l’équipe du JRC menée par Guido Ceccherini. Au même moment, cinq d’entre eux publiaient dans Global Change Biology un point de vue affirmant, au contraire des conclusions de l’étude du JRC, qu’une transition des forêts en régression vers des forêts en expansion était à l’œuvre depuis le milieu du XXe siècle. Ils soulignaient que la gestion sylvicole « a joué un rôle majeur » dans cette tendance. Et concluaient à « une augmentation de la biomasse et du carbone stocké dans de vastes régions du globe », bien que celle-ci n’ait « pas encore été pleinement reconnue ni quantifiée ». Tel est bien le problème, car pour estimer l’évolution du carbone stocké, il faut pouvoir évaluer celle des forêts.
Nature a publié ces objections le 28 avril, avec la réponse argumentée de Guido Ceccherini et de son équipe. Si ces derniers reconnaissent quelques points amendables dans leur étude, ils persistent dans leur diagnostic quant aux pressions exercées sur les forêts européennes, de loin supérieures à celles observées en Russie, en Chine, au Canada ou aux Etats-Unis.
Urgence à répondre au changement climatique
Leurs détracteurs, eux, n’avancent pas d’indicateurs chiffrés sur les superficies boisées. Ils estiment, en se basant sur les statistiques économiques, que la récolte de bois dans l’UE a effectivement crû en 2016-2018 par rapport à la période 2011-2015, mais seulement de 6 %. Les périodes de référence retenues par le JRC leur semblent au demeurant problématiques car trop brèves pour refléter le cycle du carbone, lui-même lié à celui de la gestion des parcelles. Rendre compte de la vie économique d’une forêt demande de s’inscrire dans la durée puisque les arbres vont repousser en quelques décennies. Ce à quoi les scientifiques du JRC opposent l’urgence à répondre au changement climatique.
Un autre reproche porte sur la méthodologie dans l’interprétation des images satellitaires : l’équipe du JRC n’aurait pas assez tenu compte de l’amélioration des algorithmes survenue durant la décennie 2010. Plus sensibles, les séries de données, notamment celles de la base Global Forest Change, offrent une détection plus fine des trouées dans le couvert boisé, ce qui pourrait accroître artificiellement les pertes recensées. Et il est plus aisé de repérer des zones soudainement mises à nu qu’une densification du couvert forestier, font remarquer certains détracteurs.
« Les outils de télédétection s’améliorent de jour en jour et permettent de suivre les dépérissements d’arbres et les coupes excessives, mais il ne faut pas mal interpréter leurs données, assure Hervé Jactel, chercheur à l’Inrae (Institut national de la recherche agronomique) et membre de l’Académie d’agriculture. Quelles que soient les avancées technologiques, il sera toujours nécessaire de valider ce que les pixels révèlent par des inventaires menés au sol par des forestiers. D’autant que nous observons la pression grandissante des changements climatiques : l’extension des superficies touchées par les tempêtes, les sécheresses, les incendies, ainsi que les attaques d’insectes pathogènes. Ce point-là au moins fait consensus. »
Manque d’outils pour mesurer les stocks d’arbres
La sous-estimation des ravages dus à ces perturbations « naturelles » est un autre des griefs adressés à Guido Ceccherini. Lui défend son approche comme une « approximation acceptable en l’absence de meilleures données », qui ne remet pas en cause la portée de son étude. Tous les chercheurs s’accordent d’ailleurs pour souligner le manque d’outils capables de mesurer précisément l’état des stocks d’arbres. Cette lacune ouvre la voie à de vives polémiques. « Les politiques ont fortement réagi à l’étude du JRC et à son accusation implicite de surexploitation, ils ont demandé aux scientifiques de refaire les calculs, rapporte Hervé Jactel. Dans un pays aussi forestier que la Suède, cette information est passée au journal télévisé. »
Marc Palahi, signataire principal d’un des textes critiques, dirige l’Institut européen de la forêt (EFI), qui regroupe des scientifiques et des représentants de la filière bois et dont le siège se situe en Finlande, grand acteur forestier. Il a promptement médiatisé son désaccord avec l’alerte lancée par Guido Ceccherini. Dans son premier article, ce dernier rapportait que la Finlande et la Suède comptaient à elles deux pour plus de la moitié de l’augmentation totale des récoltes de bois. La polémique qui anime les milieux de la forêt n’est sans doute pas étrangère à l’agenda de la Commission européenne, qui doit présenter cet été la nouvelle stratégie de l’UE en la matière.
Martine Valo"
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Note: ce recul correspond bien à ce que j'observe sur le terrain... Brutale accélération de l'exploitation en 2016-2018 (+ scolytes) et qui n'en finit pas...