Compte rendu d'une conférence du Dr Salmona,
psychiatre spécialisée en psycho-traumatologie et victimologie, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
à destination de professionnel.les susceptibles d'accueillir des victimes : assistantes sociales, gendarmes, policiers, membres d'associations etc... (une très grande majorité de femmes).
Le Docteur étant arrivée avec une demi heure de retard, elle est entrée directement dans le vif du sujet :
Pour commencer, voici quelques chiffres pour la France issus des dernières recherches en la matière.
Pour la biblio, se référer au site « Mémoire traumatique et victimologie ».
(ces chiffres sont sur les violences sexuelles, mais la conférence portait bien sur les mécanismes en jeux dans toutes situations de violences aggravées.)86 000 viols par an de femmes adultes
16 000 viols d'hommes adultes
Par croisement des données de plusieurs enquêtes, on estime à
124 000 viols par an de filles mineures
et de 30 000 garçons.
On estime que 83% des victimes ne sont pas identifiées, donc ni protégées, ni prises en charge ce qui implique aussi que les agresseurs peuvent continuer leur pratique en toute impunité . On parle même de « carrière d'agresseur ».
Les violences sont véritablement un problème de santé publique par le nombre de personnes concernées et par l'impact qu'elles ont sur la santé mentale et physique des victimes. En effet, des recherches récentes ont démontré qu'elles étaient un déterminant majeur dans de nombreuses pathologies : troubles cardio-vasculaires, pulmonaires, immunitaires, cancer, diabète, hyper-tension...
Donc c'est un sujet qui concerne TOUT le monde médical.
Le Dr Salmona insiste sur l'importance de poser systématiquement la question aux patient.e.s : « avez-vous subi des violences ? »
Et bien sûr, sur l'urgence à prodiguer une formation en psycho-traumatologie aux psychiatres (qui n'en reçoivent pas à l'heure actuelle ) et surtout aux médecins généralistes.
Une formation d'autant plus nécessaire que les violences entraînent un comportement inhabituel, mal compris, qui est souvent reproché aux victimes, voire mènent à une mise en doute de leur parole et à des procédures parfois très maltraitantes.
Dans les cas de violences sexuelles, le taux de tentative de suicide est estimé entre 40 et 50 % et augmente fortement en cas de procédures.
Etat de fait qui a donné lieu à de nouvelles directives dans la récente « convention d'Istanbul ».
Quelques généralités sur les troubles psycho-traumatiques.Les violences entraînent des troubles psycho-traumatiques, c'est normal.
Les femmes sont beaucoup plus exposées à des violences traumatisantes, donc elles sont beaucoup plus sujettes aux troubles psycho-traumatiques.
(une petite précision juste pour expliquer qu'elles ne sont pas plus fragiles ou plus sensibles ou hystériques etc… Elles sont justes plus souvent agressées, par ceux-là même qui les étiquettent)
Bref, les observations ont commencé avec les « vétérans », puis un parallèle a été fait avec les victimes « civiles ».
On estime aujourd'hui que 70% des troubles psy viennent de violences et que celles subies dans l'enfance accroissent significativement les risques de problèmes cardio-vasculaires, diabète, etc... et bien sûr d'addiction et de conduites à risque.
Enfant, notre cerveau n'est pas préparé à subir des violences, et encore moins en provenance de personnes proches censées prendre soin de nous . Quand cela arrive, on a pu observer des atteintes neurologiques sérieuses et jusqu'à une modification génétique et notamment du gêne dédié à la gestion du stress.
Modification qui accroît encore la vulnérabilité de la personne.
Toutefois, quand la victime est protégée et prise en charge, ces atteintes sont réversibles, même tardivement.
On observe une répétition de la violence à partir de la 1ère violence, car les conséquences p-t provoquent une plus grande vulnérabilité et une incapacité à réagir de façon adaptée aux nouvelles situations d'agressions qui se présentent.
C'est ainsi qu'un très grand nombre de victimes de violences au travail a subi des violences auparavant et notamment dans l'enfance.
C'est ainsi qu'on estime à 20 ans d’espérance de vie en moins pour les enfants victimes.
L’intentionnalité de la violence augmentent de 80% les troubles p-t.
Ce qui se passe dans le cerveau :En cas de danger, c'est le système limbique qui réagit.
Les zones concernées particulièrement sont l'amygdale cérébrale et l'hippocampe.
Nous possédons un système d'alerte au danger automatique et inconscient.
L' amygdale s'allume, provoque l'état d'hypervigilance et :
sollicite le cortex pour analyser la situation
prépare l'organisme à fournir un effort extrême en lançant la production d'hormones de stress : l'adrénaline (oxygénation) et cortisol (mobilise le glucose dans le sang)
sollicite l'hippocampe (zone impliquée dans la mémoire, l'apprentissage et le repérage tempero-spatial)
Si le cortex considère que c'est une fausse alerte, il envoie un signal pour faire cesser l'état d'alarme.
S'il considère qu'il y a véritablement un danger, il provoque l'action après laquelle les hormones de stress baissent et tout s'enregistre dans l'hippocampe dans la « mémoire photographique » qui fait que dans quelques jours, nous pourrons reparler de cet événement sans le revivre émotionnellement.
En cas d'agression, l'amygdale s'allume, mais si la situation est terrorisante ou incompréhensible ou incohérente ( elle vient d'un proche par ex.) ou qu'il n'y a pas de porte de sortie :
le cortex se paralyse, créant une incapacité à réagir : c'est la SIDÉRATION.
Incohérence, menace, folie = sidération neurologique, le cortex est dépassé par la situation.
Les réactions en chaîne de cette sidération :
(elles sont multiples et peuvent durer dans le temps bien après que l'état de sidération ait cessé.)
Incapacité à réagir
Le cortex ne peut pas moduler la sécrétion d'adrénaline et de cortisol ni à fortiori les faire cesser, alors que ce sont des hormones qui ne doivent intervenir que ponctuellement en cas de crise.
Elles deviennent toxiques, l'adrénaline attaque le cœur et le cortisol le cerveau.
Comme il est impossible d'éteindre l'amygdale, le seul moyen est de la « disjoncter » c'est à dire de l'isoler en coupant les liens entre elle et le reste du cerveau et le corps.
Cette disjonction se produit avec un cocktail de morphine et de kétamine pour anesthésier les émotions et la douleur.
C'est la DISSOCIATION, la déconnection des émotions.
On n'a plus d'outils pour interpréter ce qu'il se passe
On ne peut pas avoir de réactions adaptées.
Ce qui permet à l'agresseur de prendre totalement le pouvoir sur sa victime.
Une victime dissociée n'a pas les réactions qu'on attend d'une victime, elle a l'air indifférente, ce qui provoque une difficulté de prise en charge puisqu'elle ne provoque pas l'empathie.
Les neurones miroirs permettent de ressentir la détresse de l'autre, ce qui réveille l'empathie qui sert à nous mobiliser pour venir en aide.
Mais si la personne en face de nous ne ressent rien, nous ne ressentons rien non plus et n'avons pas particulièrement le désir de l'aider.
De plus, cette absence d'émotion et de réaction augmente le risque de maltraitance par la suite.
La sidération dure le temps de la confrontation avec l'agresseur.
La dissociation peut durer dans le temps, retardant le réveil de la mémoire traumatique et de la violence ressentie au moment des faits.
La disjonction, en isolant l'amygdale de l'hippocampe, ne permet pas le traitement des évènements dans la mémoire photographique, ils vont rester dans « une petite boîte noire » dans l'amygdale cérébrale et ne seront pas différenciés du moment présent.
Cette perturbation des mécanismes de repérage tempero-spatial empêche la construction chronologique et peut provoquer des pertes de mémoire, voire de véritables amnésies.
Les personnes ont souvent du mal à s'inscrire dans le temps et quand une situation présente
rappelle les événements violents, la victime bascule dans le passé. L'événement premier prend le pas sur la réalité présente, c'est l'attaque de panique ou le réveil de symptômes post-traumatiques (pensées obsédantes, angoisses, cauchemars, etc...)
C'est une véritable machine à remonter le temps qui s'active, pouvant provoquer des hallucinations visuelles, auditives, olfactives, tactiles … faire ressortir la haine, le mépris, l'excitation perverse venant de l'agresseur et intériorisés par la victime, amplifiant les sentiments de culpabilité, de honte, le manque d'estime de soi, une grande peur de la folie...
La mémoire traumatique peut aussi se réveiller à mesure qu'on est, et qu'on se sent en sécurité. De façon incompréhensible, on va plus mal. Il arrive que même des dizaines d'années plus tard, on ressente les émotions qu'on n'a pas pu ressentir au moment des faits ni pendant tout le temps de la dissociation.
Le Dr Salmona donne l'exemple d'un de ses petits patients gravement maltraité dans sa petite enfance. Il était plutôt calme au moment de la procédure de placement. Puis quelques temps après avoir été accueilli dans une famille sécurisante, il a commencé de façon complètement incompréhensible pour la famille à devenir extrêmement agité, à avoir un comportement violent, de soudaines terreurs nocturnes…
Elle cite aussi le cas d'un petit enfant qui avait assisté à l'âge de 3 ans à la tentative de meurtre de sa mère par son père. Celui-ci avait essayé de la poignarder avant de tenter de la défenestrer. Deux ans plus tard, l'enfant ne se souvient absolument pas des faits, mais a développé une phobie des couteaux et un besoin compulsif de vérifier la fermeture des fenêtres. Pas de souvenirs, mais une mémoire traumatique.
Pour illustrer comment la victime peut intérioriser le comportement de l'agresseur, elle raconte avec humour comment un petit garçon s'est campé, jambes écartées au fond son fauteuil pour répondre d'une voix grave, yeux dans les yeux « je m'en bats les c*u!lles » avant de reprendre quelques minutes plus tard sa voix d'enfant en mangeant un bonbon.
Afin d'éviter le réveil douloureux de la mémoire traumatique, les personnes vont développer des comportements d'évitement, d'hyper-contrôle, d'hyper-vigilance provoquant à leur tour un épuisement physique et psychique.
L'environnement est vécu comme un véritable champ de mines (les mines étant les odeurs, les sons, les textures, les mots, les situations susceptibles de réactiver la mémoire t.)
Le seul moyen de traverser un champ de mines, c'est d'être « déconnecté ».
On va donc développer des pratiques dissociantes (c'est à dire qui font monter suffisamment le stress pour relancer le mécanisme de dissociation) :
l'alcool et la drogue
auto-mutilation, scarification
anorexie / boulimie
conduite à risque, jeux
sports extrêmes
Pour conclure, Le Dr Salmona projette des photos d'irm de 2 vétérans à qui l'on fait un récit de guerre.
Pour le premier qui ne souffre pas de symptômes post-traumatiques, plusieurs zones du cerveau sont activées.
Pour le second souffrant de s.p.t., seule l'amygdale est « allumée », presque « explosive ».
Toutes les récentes découvertes en neuro-biologie montrent une grande plasticité du cerveau, une grande capacité de résilience, l'enjeu thérapeutique est de transformer la mémoire traumatique en mémoire photographique.
Muriel Salmona n'a malheureusement pas le temps de développer l'aspect thérapeutique et ce n'était d'ailleurs pas le sujet.
Je lui ai cependant demandé ce qu'elle pensait de l'EMDR très souvent citée comme technique particulièrement efficace pour traiter les s.p.t.
Elle répond qu'on ne peut pas faire l'économie de l'analyse et de la verbalisation, de la compréhension de ce qui s'est passé, des responsabilités réelles de chacun.e, des conséquences psychiques et physiques... L'EMDR peut favoriser ce travail de reconstruction par son léger effet dissociatif qui permet à la victime de se calmer. S'il n'est pas au service du travail psycho-thérapeutique, il peut avoir des effets pervers en alimentant la dissociation de la personne.Et il est même contre-indiqué dans les cas de « poly-psycho-traumatismes ».
Elle termine en rappelant l'urgence d'une formation adéquate des professionnel.le.s de santé
et plus largement d'une diffusion de la réalité de la violence en France et de ses conséquences psycho-traumatiques. Afin que cesse l'impunité des agresseurs. Et que les victimes puissent bénéficier d'une meilleure compréhension et de soins adaptés.
(suite à des retours de soignant.e.s sur ce compte rendu, j'ajoute les trois conseils que le Dr a égrainé pour un meilleur accueil des victimes :
- Les rassurer sur leurs comportements : certains ont peut être l'air anormaux mais, au vu des évènements passés, "c'est normal" ! (c'est vrai et cela procure un réel soulagement)
- Leur expliquer les phénomènes neuro-biologique enjeux sans avoir peur que ce soit trop compliqué, tout en s'adaptant à son interlocuteur bien sur (on est souvent étonné de ce que peut comprendre quelqu'un.e qui le vit réellement dans son corps )
- Poser systématiquement la question : Est ce que vous avez subit des violences ? (Beaucoup de professionnel.les ne le font pas, souvent par peur de la réponse. Ils ne sauraient pas quoi faire avec. C'est comme ça que beaucoup de victime reste dans le silence alors qu'elles répondent quand on les questionnent. Quand la personne répond positivement et qu'on n'est pas soi même un.e professionnel.le de santé compétent.e pour l'accompagner, l'aider à faire le premier pas c'est déjà pas mal, la rassurer et la renvoyer vers des structures ou professionnels ressources dans le domaine (Vous pouvez faire la recherche à ce moment là), et/ou vers les n° verts gratuits. Ces numéros sont une véritable ressource car les gens qui répondent sont formés spécifiquement au genre de violence et à l'écoute, et ils connaissent les différentes ressources locales et nationales.)
Voilà, un
signal qu'il est important pour moi d'émettre, merci de m'en donner la possibilité.