**Post-Fleuve**
Je lis un point commun à ces récits et je me permets d'apporter ma pierre à l'édifice, à partir de l'analyse de mon vécu (qui n'engage que moi, donc):
Mon problème de "l'après" tourne autour du choc, et/ou la culpabilité de l'impuissance. Impuissance à sauver ou à se sauver soi-même, physiquement et mentalement.
Je le reformule ainsi : A un moment donné, j'ai été incapable de conserver une forme d'intégrité physique et/ou mentale, une sorte de schéma/coquille qui m'apportait l'équilibre dans mon rapport intérieur<=>extérieur. Je me sens coupable/inadapté/incapable.
Ce traumatisme, bien que passé, continue de me poser ses questions :
- Pourquoi moi ?
- En quoi est-ce un échec ?
- Qu'est-ce que cela dit de ma vision de ma valeur d'être humain ?
- Qu'est-ce que cela dit de ma vision de l'humanité en général ?
J'ai eu quelques discussions avec des soldats plus ou moins gradés et pour eux les questions suivantes se posaient aussi :
- Qu'est-ce que MA normalité ?
- Qu'est-ce que LA normalité ?
Pour moi, l'exemple du soldat renvoyé à la vie civile qui reste hanté par son vécu est le plus parlant :
- Il a intégré des capacités/réactions émotionnelles nécessaires à le rendre performant/efficace.
- Il a été sur le terrain et a vécu le traumatisme de se sentir non-performant/inefficace/dépassé.
- Il est renvoyé dans une normalité qui n'est plus la sienne et dont les valeurs lui sont différentes voire étrangères.
- Il se retrouve isolé, hanté par son vécu, incapable de le passer NI par le filtre des ses capacités passées car inopérantes là où il est, NI par le filtre des capacités/réactions émotives type qui l'entourent car trop ordinaires, maigres, simplistes pour gérer l'extra-ordinaire.
Au final :
Après le traumatisme, comment se re-définir ? A partir de quoi et comment ?
Je pense qu'à plusieurs échelles, il en va de même pour les sauveurs de profession ( soldats, pompiers, santé ) ou de vocation ( bon samaritains, actes citoyens...) qui n'y arrivent pas.
Il en va aussi de même pour l'individu lambda quand il s'agit de se sauver lui-même d'une menace, sans succès.
Il se retrouve dans la situation de devoir se re-définir dans SA normalité/SES valeurs (pensée) qui lui semblent tout à coup hostiles, car incapables de gérer ce qu'il a vécu (émotion).
C'est une vision assez froide et méthodique, parce que la réalité, c'est que chacun est complètement bouffé par ses émotions et ses sentiments.
Pour moi, le traumatisme ce sont ces affects qui tournent en boucle et dont on n'arrive pas à sortir.
La pensée n'arrive pas à passer au-dessus d'eux ni à les arrêter. Pire, elle passe à travers eux, se construit en eux pour justifier ce que l'on pense être ou ce que l'on fait ensuite.
En gros je te paraphrase Al Bundy, mais où tu parles de mémoire et de pensée, je préfère parler d'émotions et de ressentis car je vis le phénomène comme un processus viscéral.
Mon idée a été ( est toujours ) de ramener ces émotions qui tournoient dans les profondeurs, à la surface, dans ma pensée consciente. Et de les passer à la moulinette de l'analyse rationnelle, froide et méthodique.
Quand je me sens partir en vrille, je me pose, je m'observe, je démêle par des mots précis petit à petit, cette monstrueuse pelote qui m'étouffe.
Parler, écrire, parler encore, raconter, re-dire mais différemment.
Pas forcément ce qu'il s'est passé. Parfois il s'agit juste de poser le vrai nom de l'émotion qui tente de me submerger.
Je pose mes tripes sur la table et j'inspecte. Les émotions-paravents comme la rage, la colère, cachent souvent l'angoisse, la peur, la honte...
La méthode ci-dessus est une forme d'auto-analyse que j'ai apprise à travers la lecture de livres sur le développement personnel et donc j'ai beaucoup parlé avec ma psychiatre. Elle marche plutôt bien dans les phases aïgues comme les terreurs noctures, ou quand un stimulus extérieur (comme une odeur, une situation) tire un élastique du passé trop violemment et que l'on se retrouve catapulté dans son enfer personnel.
Par contre, les conséquences à long terme d'un traumatisme étant plus profondes et plus sournoises, il m'a fallu des dizaines d'années (et certaines grosses auto-baffes durant la psychothérapie) pour en comprendre les causes et conséquences sur mes choix et comportements à priori anodins.
L'esprit a des manières parfois tordues de se protéger.
Puisqu'il est question de "survivre à" et "survivre après", je pense que la résilience peut prendre des formes difficiles à accepter. On est dans le choix du pire et du moins pire, et pas dotés des mêmes cartes pour choisir.
Comprendre de quelle manière s'est installée sa forme de résilience et accepter que l'on ait pu se faire du mal en prenant celle-ci plutôt qu'une autre mais qu'à ce moment là, on a fait au mieux, avec ce que l'on avait...C'est violent. Et salvateur.
Cela veut dire que l'on peut encore évoluer, faire mieux avec ces nouvelles cartes en main.
Pour moi, "l'après", c'est "faire avec".
Faire au mieux, faire de son mieux, pour retrouver l'équilibre, accepter ce qui a changé, ce que l'on est devenu, faire de ses faiblesses une force.