Salut Moss,
Merci d'avoir pris le temps. C'est intéressant... Je ne connaissais pas le système du MOOC ni ces plateformes pédagogiques en ligne. Et je me rends compte que c'est un petit peu ce qu'on fait ici, en partie, dans certains coins où je rapport signal bruit est élevé et où les gens testent (pour mémoire, les groupes de travail, qui sont restés un peu lettre morte, étaient conçus pour ça à la base).
Est-ce que des phases de théorie pure sont réellement indispensables ? Je pense que oui. Mais je pense qu'il est indispensable d'imaginer une manière de les intégrer à des choses pratiques. L'approche "par projets" est intéressante pour ça. Toute connaissance théorique, en fait, devient la réponse à un problème concret. Et on l'intègre directement dans un truc réel. On en voit la finalité, on a une expérience directe de sa mise en application, etc.
On peut souvent créer, inventer, innover, développer des hypothèses de travail ou de recherche également à partir de problèmes concrets. Et même s'il doit rester AUSSI une part de théorie et d'abstraction pure, elle n'est clairement pas accessible ni intéressante pour la majorité.
Au CEETS, jusque l'an dernier, on faisait essentiellement des modules de cours qui commençaient par un fondement théorique, puis qui posaient de la pratique dessus. On se rend compte à l'usage et aux débriefings que les gens retiennent ce qu'ils ont FAIT. Et aussi que les bouts de théorie dispensés à l'intérieur d'un atelier pratique, même sans support visuel et sans détails, sont beaucoup mieux assimilés que le reste.
Quand on parle, par exemple, de rayonnement, évaporation, conduction et tout ça, mais en faisant des micro exercices qui leur font SENTIR tout ça avec leur corps, ils comprennent et retiennent mieux. Quand on dit "la chaleur du feu est du rayonnement et il diminue en fonction du carré de la distance", ça parle réellement à 10% des gens. Quand on dit ça et qu'on les fait s'éloigner du feu et qu'ils le sentent, il pigent, ils sentent, ils voient, ils entendent... et le soir ils font un petit feu, et ils restent tout près.
C'est ça que je veux dire par "même les savoirs théoriques passent par le corps". Et on peut sans aucun problème transposer ça à des compétences techniques plus complexes. Rien ne remplace l'expérience... et l'expérience, en fait, c'est une implication du corps, de toute la personne dans une expérience directe de l'utilisation d'une compétence.
Et ça, on peut la donner aux gens... ou en tout cas s'en rapprocher sans les mettre en danger (personne au CEETS n'a jamais vécu une vraie situation de survie en stage... mais tout le monde a un peu d'expérience de ce genre de truc quand même).
Les connaissances théoriques préalables que certains ont, en arrivant en stage, par le biais des forums, des lectures etc. sont utiles, mais elles comptent environs pour 10% de la compétence réelle à réellement vivre sur le terrain. A contrario, les gens qui arrivent avec plein d'expérience de terrain mais très peu de connaissances théoriques fonctionnent mieux dans un contexte qu'ils connaissent. Avec le bon mélange d'induction et de déduction, avec juste les bons exercices pour faire intégrer les savoirs théoriques qui manquent et les faire se connecter à d'autres expériences et connaissances présentes dans le système nerveux des gens... on crée un tissus de connections neuronales vraiment dense et durable. Et la mémoire du corps, la mémoire de l'expérience vécue par le corps, pour ça, est un support extrêmement dense et riche qu'on serait vraiment cons, à mon avis, de ne pas utiliser comme support.
Moi j'ai appris la vraie différence entre du 12V DC et du 110 AC (au québec c'est du 110V sur les prises des maisons) en y touchant. J'ai dit à mon père "c'est drôle quand on prend un choc avec ça, on dirait que ça vibre"... Et il m'a expliqué pourquoi. Et du coup j'ai pigé pourquoi on s'en foutait de brancher certains trucs à l'envers... etc.
Est-ce que je vais aller toucher une ligne à haute tension pour comprendre ? Evidemment non. Mais quand on a senti l'électricité dans l'air en s'approchant de ces fils là, on se représente quand même mieux ce que c'est que quelques milliers de volts en différence de potentiel... et pourquoi faut juste trop pas déconner.
Aucune théorie ne peut atteindre le niveau d'utilisabilité d'une connaissance acquise par l'expérience directe. Les acquis sont dans un morceau de cerveau difficile d'accès, pas directement exploitable... il faut ensuite passer par l'expérience et faire des ponts. Et ça se fait lentement...
Bref, j'en viens à la conclusion qu'on surestime énormément (et moi le premier j'ai fait ça) l'importance et l'utilisabilité des savoirs théoriques... et qu'on sous-estime très souvent la capacité de l'expérience pratique bien choisie à faire émerger des principes génériques et des réflexions extrêmement fines et utilisables ailleurs.
Tiens, à titre d'exemple, y'a deux semaines en stage j'ai volontairement zappé tous les grands et beaux principes de la survie que j'enseigne en général à l'oral, pour concentrer les activités du stage sur essentiellement du pratique. Les gens ont FAIT des trucs choisis... illustrant les principes en question. Au débrief, les gens ont sorti des "je me rends compte en fait que le matériel est important, mais c'est surtout le mental qui va faire en sorte qu'on arrive à l'utiliser ou pas"... et un qui rajoute "oui mais le physique c'est important aussi"... et un autre qui renchérit "oui mais avec les connaissances qui vont bien, on tire moins sur le physique, et on utilise mieux son matos"...
En trois minutes, ils ont pondu eux-mêmes la théorie. Parce qu'ils l'ont vécue.
Mes deux balles
David