Posté par kartoffel Salut à tous
Après que David m'aie demandé de lui raconter ça cet hiver, j'y ai repensé, plein de détails me sont revenus... et je me suis dit qu'il était peut être utile de conter cette histoire sur le forum.
Sachez que j'en ai pas mal honte et que c'est pas facile de s'ouvrir comme ça, et d'avouer une telle succession d'erreurs plus grossières les unes que les autres, mais enfin à ma décharge je rappelle que je ne connaissais pas le forum à l'époque et que je devais tout découvrir moi même
Voilà, disculpé.
Toussaint 2002, j'ai 19 ans et je suis un peu déprimé par un échec sentimental du genre qu'on a quand on est jeune et naïf
Un peu fatigué par la prépa aussi, et les vacances sont bienvenues.
Envie d'air, tout de suite, et pas envie de me fatiguer ; dans la Drôme, une réponse : le Vercors.
Je me balade trois jours selon un parcours erratique, au gré des envies de paysages, bien que la météo me laisse heure après heure le choix entre la pluie ou le brouillard. Je suis aux anges : la nature est belle, l'air sent bon, y'a plein de bestioles qui gambadent, j'ai retrouvé la pêche, bref tout va pour le mieux.
Le soir du troisième jour, les nuages s'en vont pour de bon et laissent place à un beau coucher de soleil. La nuit tombée, je m'installe dans un refuge à une croisée de GR (que je fuis par ailleurs) donc assez fréquenté (Chamailloux, pour les connaisseurs). Moi couché pour dormir, y'a encore plein de gens qui parlent, d'autres qui ronflent fort, et nom d'un chien ce fichu refuge est vraiment surchauffé. A deux heures du matin j'en peux plus de la chaleur et des ronflements, et sur un coup de tête j'emballe toutes mes affaires et me barre.
CA COMMENCE ICI.Je ne crains pas l'accident, même de nuit, je sais où je peux aller sans risques et où le relief me mettrait en danger. Honnêtement pas de souci de ce côté là. Je fais une halte au ruisseau bien gonflé qui coule là et me charge d'un pauvre petit litre d'eau, et en bois d'ailleurs la moitié avant de repartir sans pour autant re-remplir la gourde. J'ai pas soif, et il fait frais.
(je vous avez bien dit que le récit serait truffé de bêtises grossières et impensables pour moi aujourd'hui... ça, c'était déjà la première ; les suivantes, je les marque d'un <!>) Je me dirige vers l'ouest, traverse le plateau là où il est le plus étroit et commence à monter une pente qui fait face au côté où le soleil se lèvera. Je porte un t-shirt en coton
<!>, une polaire et un anorak, et en bas j'ai mon éternel pantalon de ski de fond avec "effet-plombier" (qui montre la raie des fesses quand je me baisse) et des godasses Lowa. Toutes mes changes sont au fond du sac et mouillées de la pluie des jours précédents
<!>.
J'arrive en haut de la pente un peu avant quatre heures du matin. De mémoire ça doit être dans les 1800 en altitude, à la louche. Je déroule mon tapis de sol et me pose là. Il n'y a pas un souffle, mais si le vent devait se lever je ne serais pas à l'abri
<!>. Il fait juste un peu frisquet ; je garde les godasses et me glisse dans le sac de couchage, un sac de couchage estival
<!> sans même une capuche. Je porte toujours mon T-shirt en coton, un peu imprégné de sueur
<!> à cause de la montée qui commençait un tout petit peu raide, en me disant que ça sèchera bien d'une façon ou d'une autre. Le ciel est magnifique, y'a des millions d'étoiles et même quelques étoiles filantes. Je me sens parfaitement bien. Vers 5 heures, je sombre avec plaisir dans le sommeil.
Je rêve, ou plutôt je cauchemarde. Je rêve qu'un démon est derrière mon épaule gauche, qu'il veut que j'aille à Pré-Peyret... dans la réalité, Pré-Peyret n'est qu'à quelques kilomètres de là, mais dans mon rêve c'est quelque part à l'infini. Le démon dessine des flèches rouges par terre pour me pousser là où il veut.
Je me réveille en sursaut. Un vent faible souffle de devinez où... de derrière mon épaule gauche. Je me sens bizarre, mais ne le réalise pas à ce moment là : ma mémoire enregistre, mais toute forme de conscience ou d'intelligence m'a quitté. Je tressaille très violemment plusieurs fois, comme un épileptique, mais tout me paraît normal. Je sens que mon corps souffre de l'intérieur, mais c'est comme si un filtre me contentait de me donner l'information sans m'obliger à ressentir cette souffrance. J'ai un instant l'impression de sombrer définitivement et ça me paraît une bonne chose, tout à fait naturelle. Mais par un miracle je me lève très péniblement en me disant "si le démon veut que j'y aille, je n'ai pas le choix, il faut lui obéir". Et je mets lentement un pied devant l'autre, vers l'aval de la pente, abandonnant tout ce que j'ai sur place.
Le coup de pot, c'est que si j'étais parti dans l'autre sens, cinq pas plus loin j'étais bon pour mes premiers 200 mètres de chute libre.
Au bout de quelques dizaines de pas, j'ai comme un éclair de lucidité. Je me dis que je fais un truc bizarre, et remonte à mes affaires. Là, les pas m'ont réchauffés juste ce qu'il faut pour que je retrouve un semblant de capacité d'abstraction, et je réalise que j'ai froid. Quel froid ! Un froid qui vient de l'intérieur.
Je me remets dans mon sac de couchage (faut il préciser que chaque geste est une réussite... je commence peu à peu à trembler très fort) et arrive à enclencher mon camping gaz sur sa cartouche ; je n'arrive pas à tourner le levier de vérouillage, alors je le laisse tel quel. Ma chance, c'est que c'est un modèle à allumage piezo avec un GROS bouton rouge qu'on peut appuyer avec une poing entier. Wouf, allumage, plein pot. Je mets mes mains et mon visage tout près de la petite flamme bleue. Un moment plus tard, j'ai envie de marcher un peu pour me réchauffer... je marche en rond un moment, laissant le gaz ronronner, puis me remets dans le sac de couchage et me chauffe comme je peux à la petite flamme.
J'alterne ainsi les phases de marche et les phases dans le sac. Au bout d'un moment, j'arrive à avaler des biscuits, et je bois le demi litre d'eau qui me reste. Le soleil est en plus en train de se lever, et d'ici une heure je sentirai peut être sa chaleur.
Je vais pas m'éterniser sur la fin de l'histoire. J'ai gagné le refuge de Pré-Peyret (lui aussi un nid à touristes, mais moins à la Toussaint) à une allure d'escargot, en faisant de longues pauses tous les 300 mètres. Un groupe de vieux qui passait là me paraissaient courir comme des cabris comparés à moi.
J'ai eu besoin d'une bonne journée de repos avant de me sentir OK, et j'ai eu de drôles de grincements à tous les tendons de mes grosses articulations pendant deux bonnes semaines après ça.
Je laisse chacun tirer la morale qu'il veut de l'histoire.
Inutile de dire que pour ma part, c'est après cet épisode que je me suis passionné pour les techniques de survie ; bien qu'ayant déjà connu avant quelques déboires de randonneur débutant je n'avais jamais eu l'impression de mourir. Là, si.