Petit compte rendu d’une aventure qui n’est heureusement pas passé du coté
obscur de la force survie… à usage pédagogique, et pour faire sourire.
Au programme : petite rando tranquille en moyenne montagne, fin juin, dans le massif de la Chartreuse. Entre 850m et 1400m, pas de difficulté particulière (pas de passage aérien ou non balisé). A l’origine de l’envie, une proposition de ballade dans le parc naturel régional. Je rajoute 50% au temps prévu et je me décide. La carte explicative de la rando familiale proposée est téléchargée et imprimée. Le sac est prêt la veille au soir, avec la carte IGN 25’000 au fond du sac (on ne sait jamais!). J’hésite encore, chaussures basses ou souliers de montagne ?
Prévision météo aux infos régionales le soir. Beau le lendemain, pas trop chaud, quelques nuages en milieu de journée, risque d’orage localisés en début de soirée. Vu que je prévois un départ tôt le matin, et que le temps « recalculé » devrait me permettre un retour en milieu de journée, c’est bon.
Petit matin, direction le départ de la rando en voiture. Je croise pleins de cyclistes fous qui descendent la route de montagne. Ils ont du partir de nuit, c'est pas possible ! Ou ils habitent en haut de la montagne… et ils sont pressés de rejoindre le tour de France. Sur le parking, juste un pick-up. Vu le matos, bûcheron ou garde forestier.
Départ à pied hyper tranquille, j’ai tout mon temps. Je tente de boire mes réserves d’eau, histoire stocker tout ce que je peux … même si la météo n’annonce pas de grandes chaleur, je prends mes précautions. Je suis prudente (limite inquiète) je vous dis!
Le chemin forestier monte tranqillement; large, confortable, petits caillours clairs. Je regrette d’avoir laissé les chaussures basses dans la voiture. La lumière du matin est déjà bonne, mais les bois gardent un coté mystérieux. Au détour d’un virage, mon oeil accroche une forme foncée plus haut sur le chemin. Je ne bouge quasi plus, je penche la tête: un faon (avec des taches encore visibles sur les flans), et sur la gauche sa mère qui regarde dans ma direction. Ils viennent peut-être de boire dans le bassin de la fontaine qui est à leur niveau. Je repasse au ralenti derrière l’arbre qui me cachait le virage, et je regarde vite de l’autre coté. J’ai la chance de les voir partir, sans précipitation, vers le fond du vallon, dans les flaques de soleil matinal.
La fontaine est glaciale, mais après ce spectacle, il est indispensable que j’y trempe mes mains et y mouille mon foulard.
D’un pas maintenant plus rapide, je continue à monter sur ce chemin. J’atteinds un réservoir, et je fais une pause pour regarder les bergeronettes jaunes se régaler d’insectes. Le réservoir est rempli d'oeufs et de tétards. Ils y a aussi une belle brochette de larve ENORMES de libellules (ces idiots de têtards, ils n’ont pas l’air de comprendre que l’union pourrait faire la force…). Et plein, plein plein de tritons. Moi qui suis fière quand j’en vois un ou deux, je suis blasée pour un bon bout de temps désormais. Bon, c’est pas tout ça, mais le temps passe, et il y a encore les 2/3 du chemin à faire.
Un peu plus haut, premier croisement entre divers chemins de rando, et premières annonces de durées. Oui, le balisage est peu présent jusqu'ici, mais le chemin étant facile, je n'ais pas de raison de me plaindre. Les destinations et durées de marche indiquées me perturbent un peu. J’extrais la carte IGN du fond du sac, et j’essaie de retrouver les noms des alpages, des cols, les tracés rouges des sentiers et les courbes de niveau (suis déjà à 1150m) pour comprendre. Quelqu’un s’est trompé quelque part. Selon les panneaux, je ne suis pas sur un tour de 4 heures (pour lequel je prévoyais 6h), mais de 7 à 8 heures ! Selon la carte IGN, j’ai fait le plus facile. Le chemin va devenir plus sportif, ce n’est pas du tout le parcours facile annoncé; je ne regrette plus d’être en chaussure de montagne. J’hésite à faire demi tour.
Mais je décide finalement de prendre les sentiers indiqués sur la carte IGN qui doivent me permettre d’éviter 3 larges boucles dans les alpages. Cela devrait au final me donner une ballade de 5-6h environ (pour mon timing perso), avec donc un retour en milieu de journée, comme prévu initiallement. La carte de la rando familliale est désormais en boule au fond du sac.
Mais … c’est quoi ce balisage de m*** !
Il me faut un bon moment pour comprendre que le balisage – très dispersé – est lisible depuis l’autre sens ! Et qu’il y a une pléthore de micro chemins, entre les pistes vtt, les passages d’engins forestiers, les parcours de trail, etc… Je ne vais quand même pas marcher à reculons. Et tester chaque chemin pour essayer de trouver une trace de peinture 50m plus loin.
Je me pose, et j'exprime ma rage mentalement (en fait, j’aime me rappeller de temps à autre que j’ai un vocabulaire riche et étendu). Je bois un peu d’eau (j’ai bien fait de faire le chameau, pas de point d’eau sur mon nouveau parcours raccourcis), je grignote quelques fruits (c’est l’été et les abricots sont fondants). Bon, il va falloir ouvrir ce kit de survie, et récupérer la boussole afin de répondre à mon désir d’une progression régulière. La boîte est là où il faut (au fond du sac, depuis des mois). Le tape (celui qui ferme la boîte) ça colle super bien ! La boussole me sourit gentiment, et nous repartons. Je me crois en train de faire une course d’orientation, boussole sur la carte pliée en 28, ongle du pouce sur le chemin à suivre. Pas facile, mais globalement, tout fonctionne et je trouve mon chemin jusqu’au point où je rejoins le tracé du grand tour d’origine. Mais entre le terrain difficile, les zones boueuses, le dénivellé (suis arrivée à presque 1400m), j’ai pas mal de retard. Et je suis crevée. Mais à partir d’ici, que de la descente, « régulière » si j’en crois la carte IGN (et puis, je suis sur le parcours de la rando familliale non ?).
Solution : pique-nique léger avancé en guise de pause. Je suis au pied d’une zone de falaise, et je m’assoie en direction de la pente, vers la vallée. En raison de la forêt, je n’ai aucune vue, mais je distingue quelques morceaux de ciel; qui ne me paraît pas bleu du tout. Et pas besoin des yeux pour sentir qu’il y a maintenant du vent, et qu’il est froid. Il ne me faut pas longtemps pour faire un "strip-pique nique" inversé : une bouchée, je rezipe une jambe du pantalon, une deuxième bouchée, l’autre jambe. Une tomate cerise, le T-shirt par dessus le débardeur. Le coupe-vent ultra léger, le foulard (qui a séché entre temps) et la casquette – sous le foulard, parce que le vent, je l’entend un peu trop à mon goût maintenant.
Je stresse un peu, alors je repars sans tarder. Le sentier est correct, malgré pléthore de racines et quelques gros caillous calcaires. Je me procure un beau bâton, et pour rentrer plus rapidement, je tente la course sur les tronçons qui me paraissent peu dangeureux. Trois foulées de courses, deux marches de calcaire, deux foulées de course, passer sous un tronc, etc. Oui, parce que les arbres, il y en a plein en travers du sentier maintenant. Des récents… et des anciens (quand je vous dis que c’est une rando familliale !). Pas le temps de réfléchir pour refaire mon timing, je reste hyperconcentrée sur mon gymkana. De toute façon, il suffit de descendre pour rentrer.
Réfléchir, je ne vais pas tarder à avoir tout le temps nécessaire ! J'ai commencaé à baliser quand j’ai réalisé que la lumière baissait sérieusement (pas top pour courir sans risquer le saut périlleux à chaque pas). Et le premier éclair n’est pas tombé bien loin sur la falaise, parce que mon cerveau n’a pu qu’enregistrer le décalage entre la lumière et le bruit effroyable dans mes oreilles. Après j’avais trop peur pour quoique ce soit d’autre. Me suis assise sur le sol, au bord du chemin, juste à temps pour la douche. Comme le son et lumière continuait, j’ai vaguement entassé quelques branches de sapin en train de pourrir sur le bord du chemin sous mes fesses, et je me suis installée sur les dernières tomates cerises de mon pique-nique. En fait, la petite bouteille d’évian n’a pas aimé non plus. Mais le bon coté des choses, c’est que cela a contribué au lavage de l’intérieur du sac, et fini de détruire la boule de papier de la rando familiale.
C’est long 25min sans rien faire sous la douche (en fait, sans la montre j'aurais dit 1 heure...). Le coupe vent hyper léger repousse peut-être l’eau, mais il absorbe super bien la douche.
Quand je me déplie enfin, je fais un bref bilan. Retour en milieu de journée ? C’est déjà le milieu de la journée, et je suis encore à 1300m d’altitude. La visibilité ? Mieux, mais le sentier est devenu une patinoire de boue et de calcaire glissant. Moi, je claque des dents. Au moins un truc de respecté : il ne fait pas trop chaud. Et j’ai mal aux chevilles et aux genoux, je ne sais plus si c’est de froid, la position en tailleurs ou à cause de la fatigue accumulée.
Je suis calme, mais je ne me sens pas trop bien. J’ai sacrément mal à la tête, et j’ai l’impression que le pique-nique ne passe pas.
Il est temps de récupérer la couverture de survie du kit, avec au passage, un rictus pervers en direction de la boule de papier maché (la compote de tomates cerises, je ne l’avais pas encore remarquée sur le moment). Chiffonade de plastique métallisé sous coupe vent ultra mouillé. Ca colle et ça tient. Je me réchauffe tout doucement, au même rythme que ma progression. Mon bâton est mon nouvel ami. C’est important d’avoir un ami fiable dans ces moments. Je crois que je lui ai même dit merci quelques fois (j’ai une excuse, j’ai un monstre mal de tête qui ne veut pas passer).
Le terrain s’égoutte progressivement, je vire la couverture et le foulard, mon estomac finit par faire son job, et je peux enfin prendre les médicaments nécessaires pour attaquer le mal de tête. Sur la carte IGN, j’approche du but. Le dénivelé n’est plus vraiment visible (la peinture part à l’eau sur les cartes françaises… !), mais la ligne rouge du sentier reste visible, un grand s, et j'atteindrai le parking.
Je rêve ou je viens de perdre le sentier ? Je suis dans une forêt, sur une pente raide, et il n’y a plus aucune trace devant moi. Et je n’en peux plus tellement j’en ai marre. De plus, je devais avoir à ce moment plein de poussières dans les yeux, parce que j’avais pas mal de difficultés à voir nettement à travers l’eau qui me coulait sur les joues.
Les yeux un peu nettoyés, je reviens lentement sur mes pas. Le bord du sentier présente un creux du coté de la pente. Je me penche, et je distingue un raidillon gluant de boue, avec des traces de pas, droit vers le bas. Plus de jus au sens propre comme au figuré, mais encore juste assez de neurones allumés pour refuser de faire le grand saut.
Je décide de continuer à avancer à la boussole, droit dans la forêt, dans le prolongement du sentier évanoui. 100 à 200m env. du point de disparition du sentier, une grosse bosse de terrain, quelques marches de calcaire à monter et descendre, et l’impression que je suis à nouveau sur un timide sentier. Je me retourne… et je trouve une magnifique et élégante trace de balisage rouge et jaune sur un arbre (celui que l’on ne voit que lorsque l’on marche à reculons, ben tiens!). Le chemin descend, de plus en plus raide, mais reste praticable. Je n’ai même plus assez d’énergie pour avoir des crampes. Je pêche la barre de céréales qui sèche depuis des mois dans mon kit, et je réussi à rejoindre le parking après encore 1 heure d’efforts.
Il est 15h30, et il n'y aura pas d'orage en soirée...
Il me faudra plusieurs jours pour convaincre mes muscles de refaire des réserves.
Le reste de vacances fut très tranquille, j’ai beaucoup lu, comaté dans la piscine du coté où il y avait de l’ombre et fait de longues siestes dans la chaise longue.
PS: Le bâton, je ne l’ai pas jeté au bord du talus du parking. Je l’ai planté droit dans la forêt contre un grand hêtre, entre deux lys martagon.