Le lendemain, je me levai de bon matin, la brebis blanche était gentiment couché contre ma tête, sous l'auvent de la tente, l'autre était roulée en boule dans le foyer encore fumant...
Et pour cause, il avait bien gelé cette nuit-là. Je finis les restes du ragoût de la veille, remisé dans le fond de la tente, même glacial, il était encore bon!
Puis je pliai le camp. Je venais d'enfiler mon sac à dos quand un coup de feu retenti, alors qu'une purée de pois empêchait d'y voir à plus d'une dizaine de mètres.
Je n'étais donc pas du tout rassuré, malgré le gilet fluo que portait mon agnelle depuis un autre épisode, remontant au Jura, où un bonhomme comme un autre, la prenant pour un sanglier, avait tiré à balle juste à côté d'elle, et pas bien loin non plus de moi et Madudu...
Mais je ne m'attarderai pas plus que nécessaire sur le sujet que je sais tabou sur ce forum.
Quelque part dans le brouillard, j'entendais des grelots de chiens, il y eut encore une série de détonations.
"Ohé! faites-gaffe là! j'ai des moutons avec moi!", criai-je.
Le ridicule ne tue pas, lui...
Quelques mètres plus loin, je croisai les empêcheurs-de-se-promener-tranquille en question, un bien pour un mal, j'en profitai pour leur demander mon chemin.
"-Excusez-moi, vous pourriez m'expliquer le chemin pour aller à Commelle sans prendre la route?
- Oh là, sans prendre la route, c'tà dire que moi, j'y arriverais bien, mais bon, il faut connaître!"
Bon, c'est pas grave, merci quand même, je vais me démerder tout seul.
Une heure plus tard, j'arrivais sans encombre à l'entrée de Commelle, en étant allé à peu près toujours tout droit. Comme quoi, il ne fallait pas forcément connaître...
Dans Commelle, profitant d'une cabine téléphonique en état de marche (ô miracle!), j'appelai mes hôtes pour leur signaler ma position, et les prévenir que j'arriverais
probablement dans la soirée.
Tandis que je continuais dans le village, un petite mamie me regardait venir depuis le pas de sa porte. A mon passage, elle m'invita à boire un jus de fruit, puis m'offrit quelques madeleines pour la route, merci encore
Je repartis ensuite en direction de Saint-Siméon-de-Bressieux, en contournant La Côte-Saint-André par l'Ouest, mais j'arrivai très vite à un obstacle de taille : une très grosse départementale. Je ne devais pas l'emprunter sur plus de quelques centaines de mètres, mais c'était déjà du suicide... je pris donc la solution sécuritaire : marcher à travers champs à quelques mètres de la route. Je traversais d'abord péniblement un grand champ labouré, puis un champ semé de colza, je m'appliquais à passer en bordure du champ pour que les brebis n'abîment pas les jeunes plants, quand une Acadiane bleu lagune s'arrêta à ma hauteur, je voyais déjà un vieux paysan grincheux en descendre pour me virer de son champ à coup de chevrotine, mais il n'en était rien, c'était en fait un sympathique bonhomme, avec une pointe d'accent du Nord.
"Salut, moi c'est Alain, c'est chez moi que tu viens, je suis venu voir où t'en étais!"
Voyant ma situation, il me proposa de charger les brebis dans le coffre et de me ramener. Je refusai, "C'est de la triche!", il s'y attendait.
"Laisse-moi au moins ton sac alors!" Non plus, on sait jamais, si je me perdais et que j'arrivais pas dans la journée, j'aurais été bien embêté de ne pas avoir mes affaires...
Après réflexion, il me conseilla de passer plutôt par La Côte, ce serait moins pénible, il me montra une petite route sur la gauche, puis, voyant un chemin qui pouvait être un raccourci, il y fit un aller-retour en 2CV pour repérer. "Ca passe!"
Il me montra ensuite sur la carte comment arriver à Saint-Siméon par des petites routes tranquilles.
Pas de soucis jusque-là, si ce n'est que mon passage sema quelque peu la panique dans deux énormes bergeries industrielles le long de la route, à la deuxième, un paysan me regarda passer avec l'air suspicieux de celui qui se demande si ces deux brebis qui s'éloignent sont à lui...
En revanche c'était la première fois que je voyais aussi bien la Haute-Savoie.
J'atteignis finalement Saint-Siméon-de-Bressieux vers 16h, et y entrait par un quartier pour le moins inattendu, d'horribles résidences HLM en rase-campagne...
J'y croisai un groupe de jeunes de diverses origines.
"-Ho monsieur, tu les vends tes moutons?
-Non, désolé
-Aller s'il-te-plait monsieur, j'te donne 100€!
-Bah, j'aimerais bien... mais elles sont pleines.
-Ah ok, fallait le dire!"
C'était pas vrai, mais j'étais pas mécontent de ma trouvaille pour avoir la paix
Ceci dit il fallait que je pense sérieusement à trouver un bélier pour les remplir, si je voulais du lait au printemps.
Mon hôté m'attendait un peu plus loin, dans le centre du village.
"Alors? T'as traversé Chicago! Ouaip, c'est comme ça qu'on appelle la banlieue de Saint-Sim'..."
Il m'accompagna ensuite jusqu'à sa petite ferme, "Le Moulin Ruel", à quelques kilomètres de là, juste en lisière de la forêt des Chambarans.
Le courant passa très bien entre nous, et j'y restai finalement 10 jours.
En milieu de séjour, mes parents passèrent me voir en rentrant de vacances, m'amenant une boussole, ainsi que le duvet Ansabere 600 que j'avais commandé juste avant le départ, nettement plus léger et moins volumineux que mon S0 Décathlon (nettement plus cher aussi
).
Le samedi 30 octobre, avant-dernier jour avant le départ, nous allâmes aider une amie de mes hôtes pour la tonte de son troupeau Thônes-et-Marthod, une race ovine que j'aime particulièrement.
A mon grand regret, elle ne m'avait pas autorisé à laisser mes brebis quelques jours avec un de ses bélier.
Il est vrai que le risque sanitaire n'était pas négligeable, mais je pense que c'est un risque qu'elle aurait volontier pris si elle ne venait pas de perdre 40 brebis en estive (soit un tiers de son cheptel) suite à une attaque attribuée à des chiens errants (pour elle, l'implication du loup était évidente, mais les autorités l'avait niée pour éviter de l'indemniser).
Finalement, j'ai trouvé une autre solution, j'ai craqué sur un de ses adorables petits mâles qui devaient être vendus pour l'Aïd deux jours plus tard...
Et c'est ainsi que "Magnum", le petit Thônes-et-Marthod, se joignit (avec beaucoup d'enthousiasme d'ailleurs) à mon aventure.
A suivre